L’incorporation des professionnels au Québec
MISE À JOUR LE 2 MARS 2023
En 2001, l’Assemblée Nationale procéda à l’adoption de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives concernant l’exercice des activités professionnelles au sein d’une société1. Par l’adoption de cette loi, les différents ordres professionnels du Québec furent autorisés à adopter un règlement afin de permettre à leurs membres respectifs d’exercer leurs activités professionnelles au sein d’une société en nom collectif à responsabilité limitée (SENCRL) ou d’une société par actions, et ce sous certaines conditions. À titre d’information, voici la liste à jour des professionnels pouvant valablement s’incorporer afin d’exercer leurs activités :
- Les comptables professionnels agréés depuis février 2003
- Les avocats depuis mai 2004
- Les notaires depuis décembre 2005
- Les médecins depuis mars 2007
- Les arpenteurs-géomètres depuis septembre 2007
- Les optométristes depuis mai 2008
- Les conseillers d’orientation depuis mai 2008
- Les psychoéducateurs depuis mai 2008
- Les dentistes depuis juin 2008
- Les pharmaciens depuis juin 2008
- Les denturologistes depuis juillet 2008
- Les médecins vétérinaires depuis novembre 2008
- Les technologues en imagerie médicale, en radio-oncologie et en électrophysiologie médicale depuis mai 2009
- Les huissiers de justice depuis juillet 2009
- Les opticiens d’ordonnance depuis novembre 2009
- Les audioprothésistes depuis juillet 2010
- Les traducteurs, terminologues et interprètes depuis janvier 2011
- Les psychologues depuis mars 2011
- Les administrateurs agréés depuis juin 2011
- Les évaluateurs agréés depuis mars 2012
- Les architectes depuis juin 2012
- Les inhalothérapeutes depuis janvier 2013
- Les chiropraticiens depuis avril 2013
- Les géologues depuis avril 2013
- Les physiothérapeutes depuis avril 2015
- Les ergothérapeutes depuis juin 2015
- Les agronomes depuis février 2016
- Les podiatres depuis avril 2016
- Les travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux depuis mai 2021
AVANTAGES DE L’INCORPORATION
Pour plusieurs professionnels, cette possibilité s’avère séduisante puisque l’incorporation comporte plusieurs avantages potentiels non négligeables :
Possibilité de report d’impôt
L’avantage le plus notable relié à l’incorporation réside dans la possibilité de reporter l’impôt. En effet, lorsqu’un professionnel exerce ses activités sous la forme d’une entreprise individuelle, celui-ci doit s’imposer sur tous les revenus découlant de celle-ci. Le professionnel qui exerce plutôt ses activités par l’entremise d’une société par actions peut, lorsque celle-ci génère plus de revenus que ce qui est nécessaire pour subvenir aux besoins de ce dernier, se verser une rémunération suffisante et laisser l’excédent s’accumuler dans la société. Cela est avantageux notamment parce que le taux d’imposition d’une société est généralement plus bas que le taux d’imposition d’un particulier, mais aussi parce que cela permet d’augmenter le capital de la société. De plus, puisque le professionnel perçoit de cette façon un revenu moins élevé, cela lui permet d’être éligible à certains crédits d’impôt et/ou programmes sociaux.
Fractionnement du revenu
L’exercice de ses activités par l’entremise d’une société par action permet aussi au professionnel de fractionner son revenu avec les membres de sa famille. De cette façon le revenu provenant de la société est imposé dans les mains de plusieurs personnes au lieu d’être imposé dans les mains d’une seule, ce qui a normalement comme incidence de diminuer l’impôt payable. Pour ce faire, il y aura émission d’actions de la société en faveur des membres adultes de la famille. Cela s’avère généralement profitable lorsque ces personnes ont peu de revenus puisque le taux d’imposition alors applicable est plus bas. Il faut toutefois noter que certaines dispositions relatives aux ordres professionnels ainsi que certaines dispositions fiscales prohibent dans certains cas le fractionnement du revenu.
Déduction pour gain en capital
Un autre avantage fiscal non négligeable résultant de l’incorporation est assurément la possibilité pour le professionnel de profiter de la déduction pour gain en capital. Depuis 2014, la limite de déduction dont un contribuable peut bénéficier au cours de sa vie est de 800 000$. Ce montant sera indexé annuellement à compter de 2015. Lors de la disposition des actifs d’une entreprise, le revenu généré est considéré comme un gain en capital imposable. Comme le professionnel qui s’est incorporé peut bénéficier sous certaines conditions de la déduction pour gain en capital, ce dernier peut, lorsque la situation le permet, disposer de ses actions sans incidence fiscale. À l’inverse, le propriétaire d’une entreprise individuelle qui dispose de ses actifs ne pourra bénéficier de cette déduction.
Choix du mode de rémunération
L’incorporation permet aussi au professionnel de choisir le mode de rémunération qu’il considère comme étant le plus avantageux selon sa situation personnelle. En ce sens, celui-ci peut notamment opter pour une rémunération sous forme de salaire et/ou de dividende.
Bien que pouvant paraitre à première vue anodin, ce choix a une influence certaine en matière de planification fiscale.
Autres avantages pertinents
- Choix de la fin d’année d’imposition
- Permanence de la société
- Patrimoine distinct augmentant le pouvoir d’emprunt de la société
- Etc.
ÉTAPES DE L’INCORPORATION
Choix de la juridiction
La première étape consiste à choisir la juridiction sous laquelle le professionnel souhaite constituer la société. En effet, celui-ci a le choix entre le régime fédéral (Loi canadienne sur les sociétés par actions) et le régime provincial (Loi sur les sociétés par actions). À ce sujet, voir la publication qui présente et explique les spécificités des deux régimes.
Choix du nom de la société
Le professionnel qui souhaite s’incorporer doit s’assurer que le nom choisi est conforme aux lois en vigueur. Parmi celles-ci on retrouve notamment la loi constitutive de la société et la Loi sur la publicité légales des entreprises. Le professionnel doit aussi s’assurer de respecter les conditions particulières énumérées dans les lois et règlements régissant l’exercice de ses activités professionnelles.
Rédaction et dépôt des statuts constitutifs
Afin de procéder à la création de la société par actions, le professionnel doit rédiger les statuts constitutifs de celle-ci et les déposer auprès de l’autorité compétente (selon le choix de régime.) Les statuts incluent notamment les informations suivantes : la dénomination sociale, l’adresse du siège social, les spécificités du capital-actions, le nombre d’administrateurs, etc.
Immatriculation de la société
Toutes les sociétés, qu’elles soient constituées selon la loi canadienne ou québécoise, doivent s’immatriculer auprès du Registraire des entreprises afin d’obtenir un numéro d’entreprise du Québec (NEQ) et pouvoir exercer leurs activités au Québec.
Organisation juridique de la société
Lors de l’organisation juridique de la société, on procède notamment à la nomination du conseil d’administration et des dirigeants, ainsi qu’à l’émission des actions, etc.
Faire appel à un juriste peut s’avérer pertinent lorsque plusieurs professionnels décident de s’incorporer et de devenir actionnaires de la même société. En effet, dans une telle situation, une convention d’actionnaires devient indispensable puisque celle-ci permettra de régir les actes de chacun lors de la survenance de plusieurs évènements. Une telle convention peut notamment inclure les éléments suivants :
- Clauses de non concurrence
- Clauses d’achat-vente des actions
- Droit de premier refus
- Clause shotgun
- Clause d’offre obligatoire en cas de décès ou retrait des affaires
- Clause d’achat par la compagnie
- Clauses pénales
- Etc.
Avis ou déclaration à l’ordre professionnel
Le professionnel qui s’incorpore doit en aviser son ordre professionnel, lui transmettre divers documents et remplir certaines formalités, et ce, en raison du règlement lui permettant d’exercer ses activités au sein d’une société.
Il importe de noter que des modalités particulières doivent être respectées afin qu’un professionnel puisse exercer ses activités par l’entremise d’une société par actions. Ainsi, puisque ces modalités diffèrent d’un ordre professionnel à l’autre selon la règlementation en vigueur applicable à chacun, il s’avère pertinent de faire appel à un juriste afin d’éviter de se retrouver dans une fâcheuse position.
INCONVÉNIENTS DE L’INCORPORATION
Finalement, bien que l’incorporation comporte plusieurs avantages, il ne faut pas oublier qu’elle comporte aussi quelques inconvénients qui doivent être considérés avant de se lancer dans une telle aventure. Voici les principaux :
Frais d’incorporation et frais administratifs élevés
Lors de la création d’une société par actions, des frais gouvernementaux non-négligeables doivent être payés (incorporation, immatriculation, etc.). À cela, s’ajoutent les frais d’aménagement de la société. Il s’agit généralement de frais juridiques et de frais comptables. Finalement, s’ajoutent aussi les frais administratifs annuels que nécessite la gestion de la société (livres de minutes, rapport comptable avec états financiers, production de documents, impôt de la société, etc.). Ainsi, opérer une société par actions s’avère plus coûteux qu’opérer une entreprise individuelle ou une société en nom collectif.
Formalités administratives plus fastidieuses
Tout d’abord, la structure interne d’une société par actions est plus complexe et nécessite une organisation accrue (formation d’un conseil d’administration, élection de dirigeants, tenu d’assemblée d’actionnaires, adoption de résolutions, etc.)
Ensuite, la compagnie doit tenir sa propre comptabilité et doit produire des déclarations de revenus distinctes de celles de ses actionnaires.
Finalement, les sociétés par actions ont notamment l’obligation de produire divers documents et rapports en vertu de la loi, ce qui nécessite des registres rigoureusement tenus à jour.
CONCLUSION
En définitive, la majorité des professionnels québécois ont maintenant la possibilité d’exercer leurs activités professionnelles par l’entremise d’une société par actions. Bien que complexe et plus coûteuse, l’incorporation peut devenir l’option la plus avantageuse lorsqu’outillé et conseillé adéquatement. Toutefois, ce choix ne doit pas être pris à la légère, celui-ci ayant des impacts majeurs au plan fiscal et administratif. En ce sens, il importe de mesurer les avantages ainsi que les inconvénients qui en découlent minutieusement afin de prendre une décision éclairée.
Avec la précieuse collaboration de Me Alexandre Bellemare, avocat, ainsi que de Mesdames Annie-Pier Côté et Audrey Martel, étudiantes en droit.
1Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives concernant l’exercice des activités professionnelles au sein d’une société, L.Q. 2001, c. 34.