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La violation de la Charte canadienne des droits et libertés1 (ci-après « la Charte ») ainsi que son application générale sont des concepts souvent bien méconnus de plusieurs. L’ignorance de la légalité de certaines violations, lesquelles sont réalisées en contrôle et selon des critères bien précis, est bien répandue. Afin d’éclaircir le tout, nous listons ici quelques clarifications sur le sujet de la violation d’un droit ou d’une liberté encadré par la Charte.
Les principes d’application de la Charte
La Charte canadienne des droits et libertés fait partie de la constitution, laquelle forme la « loi suprême » au pays, elle regroupe toutes les règles fondamentales de notre société. Ainsi, la Charte prime sur les autres règles de droit et celles qui lui sont incompatibles sont déclarées inconstitutionnelles et inopérantes par nos tribunaux judiciaires compétents2. Or il existe certaines exceptions à cette primauté absolue, lesquelles seront traitées ici-bas.
1. Le domaine d’application de la Charte
Il faut d’abord préciser que deux chartes s’appliquent au Québec. Il y a premièrement la Charte des droits et libertés de la personne3 qui s’applique seulement dans la province québécoise et qui régit tant les différends entre deux individus qu’entre un individu et l’État. Elle se limite par contre aux pouvoirs législatifs conférés à la province par la Constitution4. Deuxièmement, on retrouve la Charte canadienne des droits et libertés qui elle s’applique, en vertu de son article 32, uniquement au parlement et au gouvernement fédéral de même qu’aux législatures et gouvernements de chacune des provinces canadiennes. Plus précisément, elle vise tous les différends entre l’État, tant provincial que fédéral, et un individu. Elle s’appliquera également à tous les domaines qui relèvent de ces entités tels les organismes réglementaires exerçant des pouvoirs délégués. À titre d’exemple, les municipalités et les commissions scolaires sont toutes deux des assujetties à la Charte canadienne.
2. La qualité pour agir en vertu de la Charte
Afin de s’adresser aux tribunaux pour atteinte à un droit garanti, il ne suffit pas qu’un droit soit touché par une action étatique, on doit également avoir la qualité pour agir dans une affaire impliquant la Charte. À cette fin, on doit répondre à trois critères déterminés par l’arrêt Conseil canadien des Églises 5. Il faut que (1) la question d’invalidité de la loi se pose sérieusement, (2) que le demandeur soit directement touché ou ait un intérêt véritable quant à la validité de la loi et (3) qu’il n’y ait pas une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux6. En d’autres mots, la personne doit prouver qu’elle est particulièrement et sérieusement affectée par la violation de la Charte7. Il est pertinent de souligner la qualité pour agir puisque ce n’est qu’une fois qu’on possède celle-ci qu’on pourra valablement s’adresser aux tribunaux pour plaider une limitation à un droit garanti.
3. Les exceptions
Il existe deux exceptions à la protection des droits et libertés prévues à la Charte aux articles 1 et 3. Ces deux dispositions sont fortement encadrées et ne permettent pas n’importe quelles dérogations à la Charte, lesquelles sont en effet possibles sous certaines conditions. Tandis que l’article 33 permet la dérogation législative aux articles 2, 7 et 15 uniquement, l’article premier, pour sa part, n’autorise que des restrictions aux droits et libertés. Ce dernier s’étend à tous les articles prévus dans la Charte8 et s’appliquera dès qu’il y a allégation d’une restriction à une droit garanti.
Plus précisément, l’article 33 de la Charte se lit comme suit :
« Le parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée à l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente Charte ».
Ainsi, une loi peut violer la Charte, selon l’article 33, seulement s’il y est expressément écrit. En d’autres mots, il faut que ce soit clair et non équivoque que la loi, un ou plusieurs de ses articles, viennent violer l’une ou plusieurs des dispositions visées par l’article 33. En conséquence, s’il est spécifiquement prévu qu’il y a une dérogation à l’une ou plusieurs des dispositions énumérées ci-dessus, la loi ou l’article dérogatoire s’appliquera comme si les articles visés n’existaient pas9.
L’application spécifique à l’article premier
L’article premier s’applique uniquement aux lois, règlements et principes de common law. La restriction doit venir d’une règle de droit10. Cet article est rédigé ainsi :
« La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique »11.
Cette disposition s’applique donc aux règles de droit qui limitent ou restreignent un droit ou une liberté prévu par la Charte. On vient donc circonscrire le critère absolu de ces droits12. C’est donc dire que les droits et libertés doivent parfois laisser place à certains impératifs dictés par l’intérêt général, seulement si c’est en harmonie avec les valeurs d’une société libre et démocratique13.
Dans le cas d’une plainte quant à une atteinte à la Charte, il y a deux étapes au processus. La première consiste en la démonstration par le plaignant de l’atteinte et la deuxième repose la justification de l’atteinte par l’organisme étatique en cause, selon l’article premier de la Charte. Cette justification se base sur les critères édictés dans l’arrêt Oakes14 de la Cour suprême du Canada, lesquels sont cumulatifs et se résument en ce que le but poursuivi par le législateur doit être assez important pour justifier la restriction du droit ou de la liberté protégé par la Charte. Il s’agit de critères exigeants qui demandent minimalement que l’objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique15. Ces critères sont les suivants 16:
Le caractère raisonnable de la limitation par rapport au but de la loi
L’analyse de ce critère porte sur l’étude de la logique, du lien rationnel, entre la mesure choisie et l’objectif désiré par l’État. Ainsi, si la mesure est raisonnable, on respecte ce premier critère.
L’atteinte minimale
Si le premier critère est respecté, on doit se demander s’il existe un moyen de minimiser davantage l’atteinte aux droits dans la réalisation de l’objectif. Si le moyen choisi est celui qui porte le moins atteinte aux droits dans l’objectif voulu, on respectera ce critère.
La proportionnalité globale
Une fois les deux premiers critères respectés, on regarde la proportionnalité entre les effets bénéfiques pour la société dans son ensemble, engendrés par la limitation, et les effets négatifs subis par la personne touchée. En fait, si les effets globaux pour la société sont supérieurs aux effets que peut subir une personne ou un groupe de personnes, on respectera normalement ce dernier critère.
De plus, en conformité avec les derniers termes de l’article premier, les tribunaux devront également s’assurer que la restriction soit acceptable dans le cadre d’une société libre et démocratique17. Il faut donc évaluer les effets globaux sur les valeurs fondamentales de notre société. Dans l’arrêt Oakes, la Cour mentionne quelques-unes de ces valeurs :
« Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l’être humain, la promotion de la justice et de l’égalité sociales, l’acceptation d’une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société »18.
Si l’atteinte ne respecte pas ces critères, elle sera jugée inconstitutionnelle et la règle de droit inopérante, en fonction de l’art. 52 de la Charte. La personne touchée pourra également demander une réparation de type individuelle sur la base de l’article 24 de la Charte.
La Charte canadienne est des plus fondamentales dans le cadre de notre société. Cependant, il y a des limites à son caractère absolu, lesquelles sont assez restreintes et exigeantes pour nous permettre de demeurer protégé et d’assurer la pleine utilité de la Charte. Il est cependant important de prendre conscience de ces limitations pour avoir un regard plus éclairé sur nos droits et sur les pouvoirs de nos entités dirigeantes.
L’équipe Bernier Fournier est disponible pour répondre à toutes questions concernant l’application des Chartes, que ce soit la limitation de l’article premier ou toute autre question concernant tant la Charte canadienne des droits et libertés que la Charte des droits et libertés de la personne.
1Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)], (ci-après « Charte canadienne »).
2Nicole DUPLÉ, Droit constitutionnel : principes fondamentaux, 6e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2014, p. 491 ; Charte canadienne art. 52.
3Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
4Id., art. 55.
5Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1992] 1 RCS 236.
6Id., p. 253 et 254.
7Nicole DUPLÉ, Droit constitutionnel : principes fondamentaux, 7e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2018, p. 547.
8Nicole DUPLÉ, préc., note 1, p. 519.
9Nicole DUPLÉ, préc., note 7, p. 546.
10Gérald-A. BEAUDOIN, La Constitution du Canada: institutions, partage des pouvoirs, droits et libertés, 3e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2004, p. 902.
11Charte canadienne, art. 1.
12Gérald-A. BEAUDOIN, préc., note 4, p. 901 et 902.
13Nicole DUPLÉ, préc., note 1, p. 519.
14R. c. Oakes, [1986] 1 RCS 103.
15Nicole DUPLÉ, préc., note 1, p. 528.
16R. c. Oakes, par. 69 à 71; Préc., note 1, p. 521 et suivantes.
17Nicole DUPLÉ, préc., note 1, p. 536.
18R. c. Oakes, par. 136.