La Cour Suprême se prononce à nouveau sur la liberté d’expression et de religion
Il y a quelques jours, la Cour Suprême a de nouveau eu à se prononcer sur les limites de la liberté d’expression et de religion. Ainsi, dans un jugement unanime rendu le 27 février dernier (Saskatchewan (Human Right Commission) c. Whatcott), les juges ont affirmé la constitutionnalité et la validité du Code des droits humains de la Saskatchewan, qui interdit les propos haineux, dont ceux envers les homosexuels.
Dans cette affaire, la Saskatchewan Human Rights Commission avait été saisie de plaintes relatives à des tracts contenant des propos homophobes et haineux publiés et distribués dans plusieurs boîtes aux lettres de résidences de Saskatoon et Régina, entre 2001 et 2002. Ces tracts faisaient notamment état, de façon grossière, des pratiques sexuelles entre partenaires de même sexe et les homosexuels étaient assimilés aux pédophiles et aux agresseurs d’enfants. Les auteurs de ces plaintes alléguaient que ces écrits suscitaient la haine contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle, ce qui allait à l’encontre de l’art. 14 du Code des droits humaines de la Saskatchewan. L’homme responsable de la distribution de ces tracts, William Whatcott, agissait au nom d’un groupe religieux, Christian Truth Activists.
En première instance, la Saskatchewan Human Rights Commission a constitué un tribunal des droits de la personne pour examiner les plaintes et ce tribunal a jugé que les tracts constituaient des publications interdites par le code provincial au motif qu’ils exposaient des personnes à la haine et les ridiculisaient en raison de leur orientation sexuelle. La Cour du Banc de la Reine a confirmé cette décision. Par la suite, M. Whatcott a porté sa cause en appel en invoquant que la liberté d’expression et de religion, qui sont des droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, avait préséance sur les dispositions du code provincial. La Cour d’appel a confirmé la constitutionnalité de la disposition, mais a jugé que le contenu des tracts n’allait pas à l’encontre de l’interdiction des publications haineuses prévue à ces dispositions.
Or, la Cour Suprême a renversé cette décision. En effet, à l’unanimité les juges ont conclu que la disposition du code provincial qui interdit les propos haineux viole effectivement la liberté d’expression et de religion prévue à la Charte canadienne des droits et libertés, mais qu’elle constitue une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Il est en effet important d’avoir de telles limites afin d’empêcher la propagation de la haine envers certains groupes. Toutefois, la Cour précise que cette disposition en question devra être modifiée puisque cette dernière interdit toute forme d’expression qui « expose ou tend à exposer une personne ou une catégorie de personnes à la haine, ridiculise, rabaisse ou porte par ailleurs atteinte à la dignité »; la Cour a jugé qu’il n’existe pas de lien rationnel entre les mots ridiculise, rabaisse ou porte par ailleurs atteinte à la dignité et l’objectif visé par le législateur de lutter contre la discrimination. La façon dont ces mots portent atteinte à la liberté d’expression ne peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte; ils sont par conséquent inconstitutionnels. Ainsi, le code provincial devrait plutôt interdire désormais toute forme d’expression qui expose ou tend à exposer une personne ou une catégorie de personnes à la haine seulement.
Vu cette distinction entre la haine et le ridicule, seulement deux des quatre tracts distribués par M. Whatcott ont été jugés illégaux. Ces deux tracts ont été décrits par la Cour comme suit :
« Des passages des tracts D et E présentent de nombreuses « caractéristiques » de la haine reconnues par la jurisprudence. Ils dépeignent le groupe ciblé comme une menace qui pourrait compromettre la sécurité et le bien‑être d’autrui, ils citent des sources respectées (en l’occurrence, la Bible) pour légitimer des généralisations négatives, et ils emploient des illustrations diffamantes et dénigrantes afin de créer un climat de haine […] Ils dénigrent les homosexuels en les dépeignant comme des dépendants sexuels dégoutants ou sales et en les comparant à des pédophiles, qui ont traditionnellement fait l’objet de l’opprobre public ».
La Cour Suprême a finalement ordonné à M. Whatcott de cesser de distribuer ces dépliants à l’avenir, en plus de devoir payer une amende de 7 500$.
Bref, la Cour Suprême du Canada a réitéré à nouveau sa position à l’effet qu’interdire les propos haineux constitue une limite raisonnable à la liberté d’expression. Pour en savoir plus relativement à ce jugement vous pouvez notamment consulter les articles suivants :