La Cour Suprême évite de se prononcer sur le statut d’un fœtus


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Dans cette affaire, Mme Levkovic a été accusée en vertu de l’article 243 du Code criminel, qui établit que commet un crime quiconque fait disparaître le cadavre d’un enfant dans l’intention de cacher le fait que sa mère lui a donné naissance, qu’il soit mort avant, pendant ou après la naissance. La question principale tourne autour de ce que signifie exactement les mots « avant la naissance ».

Ivana Levkovic a été accusée en 2006 alors qu’un gérant d’immeuble a découvert sur le balcon du logement, qu’elle venait de quitter en banlieue de Toronto, un sac contenant les restes d’un bébé humain de sexe féminin, né « à termes ou presque ». La cause et le moment du décès n’ont pu être déterminés. Mme Levkovic a expliqué à la police que son accouchement avait été provoqué par une chute et qu’elle avait par la suite déposé le corps de l’enfant dans un sac de plastique pour l’abandonner sur le balcon.

Dans un jugement unanime rendu le 3 mai 2013, le plus haut tribunal du pays a déterminé que ledit article du Code criminel est valide, suffisamment précis et qu’il ne porte pas atteinte au droit à la liberté et à la sécurité, en ce qu’il affecte le droit de la femme à une opportunité de révéler ou non une grossesse qui a échoué naturellement.

Première instance

En première instance, le juge avait conclu que la notion d’un enfant qui est mort « avant la naissance » était inconstitutionnelle parce qu’imprécise, puisqu’il ne pouvait pas déterminer le moment, pendant la grossesse, où un fœtus devenait le corps d’un enfant au sens de l’article 243. En effet, pour être conforme aux droits protégés par la Charte canadienne des droits et liberté, un article de loi doit prévenir raisonnablement les citoyens des conséquences de leur conduite afin qu’ils puissent savoir ce qui constitue un crime ou non. Pour cette raison, le juge du procès a estimé qu’il serait difficile de donner un sens cohérent et non ambigu au terme « enfant» dans le contexte d’un décès qui survient avant la naissance. Il a retranché le mot « avant » de l’article 243 C.cr., afin que ce dernier se lise dorénavant « que l’enfant soit mort pendant ou après la naissance ».Le ministère public ne pouvant établir ni la cause ni le moment du décès, Mme Levkovic a été acquittée.

Cour d’appel

En appel de cette décision, la Cour d’appel de l’Ontario a décidé que l’article 243 C.cr. n’était pas imprécis au point d’être inconstitutionnel et que le juge du procès avait commis une erreur en appliquant une norme d’imprécision trop rigoureuse. La Cour d’appel, se basant sur l’arrêt R. c. Berriman, a conclu qu’un fœtus devenait un enfant au sens de l’article 243 C.cr. lorsqu’il atteint un stage de développement où, n’eût été un évènement ou d’autres circonstances extérieurs, il serait probablement né vivant. Bref, l’article ne vise pas les femmes qui perdent leur enfant de façon naturelle ou qui subissent un avortement.

Ainsi, pour mener à une déclaration de culpabilité en vertu de l’article 243 C.cr., le ministère public a le fardeau de prouver que le fœtus serait probablement né vivant. À la suite de ce raisonnement, la Cour a accueilli l’appel, annulé l’acquittement et ordonné un nouveau procès.

Cour Suprême

La Cour Suprême a confirmé le raisonnement de la Cour d’appel et en a maintenu la décision. Les juges, de façon unanime, ont conclu que le critère de probabilité exprimé par la Cour d’appel convient le mieux à l’interprétation du mot « vivant » énoncé à l’article 243 C.cr., même si une preuve médicale d’expert sera raisonnablement nécessaire afin d’établir cet élément essentiel de l’infraction qu’est la probabilité que l’enfant soit né vivant.

À cet effet, la Cour explique que l’objectif et le contexte législatif de l’adoption de l’article 243 C.cr. est, entre autres, de protéger les enfants nés vivants et de faciliter les enquêtes sur les homicides. Selon l’article 222 C.cr., les dispositions du Code criminel concernant les homicides ne peuvent s’appliquer que si la victime est un être humain. Aux termes de l’article 223 C.cr., un enfant devient un être humain « lorsqu’il est complètement sorti, vivant, du sein de sa mère : a) qu’il ait respiré ou non; b) qu’il ait ou non une circulation indépendante; c) que le cordon ombilical soit coupé ou non ». Ainsi, afin de respecter l’objectif du législateur et de faciliter lesdites enquêtes, l’article 243 C.cr. doit donc s’appliquer à des enfants qui sont susceptibles de correspondre à une telle définition, à savoir qui sont nés vivants ou qui seraient probablement nés vivants.

De plus, l’article 243 C.cr. se doit également de faciliter les enquêtes en application de deux autres dispositions visant le décès d’un enfant qui n’est pas encore un « être humain » au sens de l’article 223 C.cr, soit l’article 238 C. cr., qui prévoit l’interdiction de tuer, au cours de la mise au monde, un enfant non encore né et l’article 242 C.cr. qui, quant à lui, proscrit la négligence d’obtenir de l’aide lors de la naissance d’un enfant, lorsque cela a pour conséquence que cet enfant subit une lésion permanente ou meurt immédiatement avant, pendant ou peu de temps après sa naissance. Ainsi, l’application de l’article 243 C. cr. lorsque l’enfant décède avant la naissance est limitée aux enfants qui seraient probablement nés vivants, ce qui n’entre pas en conflit et est compatible avec l’application des deux autres dispositions.

Finalement, en présence d’infractions plus graves comme le meurtre ou l’infanticide, l’application de ce critère de probabilité permet ainsi une déclaration de culpabilité en vertu de l’article 243 C.cr. lorsque la preuve ne permet pas d’établir les éléments essentiels de ces infractions prévues à l’art. 622(4) C.cr.

Bien que la Cour ne se soit pas avancée en précisant quoi que ce soit relativement au sujet de l’avortement, il est fort à parier que certains des arguments élaborés par la Cour soient éventuellement utilisés aux fins du débat sur le moment du début de la vie.

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Rédigé par Bernier Fournier.

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