La Cour d’appel se prononce unanimement concernant le juge Delisle en maintenant le verdict de culpabilité


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Les faits concernant cette affaire, extrêmement médiatisée puisque monsieur le juge Delisle a fait carrière notamment à la Cour d’Appel, sont simples. Le matin du 12 novembre 2009, M. Delisle appelle les services d’urgence et explique que son épouse, Madame Rainville, s’est enlevée la vie.  Madame Rainville avait subi un AVC en 2007 et était depuis paralysée du côté droit. Quelques instants plus tard, deux policiers se présentent à l’appartement du couple et découvrent Madame Rainville, étendue sur le divan du salon. Elle est couchée sur le dos, la tête reposant sur un oreiller taché de sang. Le bras droit de Madame Rainville est replié sur sa poitrine, la main recroquevillée, et son bras gauche pend sur le côté du divan. Un pistolet est retrouvé par terre, à la hauteur du bras gauche de Madame Rainville. Une plaie apparaît sur la tempe gauche de Madame Rainville. M. Delisle réitère aux policiers que sa femme s’est elle-même tiré une balle dans la tête. Il va même jusqu’à se confier à un des policiers en lui disant qu’il était difficile de s’occuper d’une personne qui n’a pas toute son autonomie et qu’il n’envisageait pas sa retraite de cette façon. M. Delisle admet également que le pistolet lui appartient; il l’utilisait auparavant pour la chasse aux oiseaux migrateurs.

C’est lors de l’enquête par un technicien en scène de crime que l’histoire se complique : en examinant  le corps de la victime, il remarque une plaie d’entrée de projectile à la région temporelle gauche. Aucune plaie de sortie du projectile n’est apparente; une radiographie révélera plus tard que la balle est demeurée dans la partie postérieure droite de la tête de Madame Rainville. Sur la paume de la main gauche de Madame Rainville, il note du noir de fumée et des grains de poudre incrustés dans sa peau. Son expérience de tireur et de technicien ne lui permet pas d’expliquer la présence de ces marques. Suite à cette curieuse découverte, deux enquêteurs rencontrent M. Delisle. Au cours de cette rencontre, ce dernier dit à une enquêteuse : « je sais ce que vous pensez, mais je ne l’ai pas tuée ». Les deux enquêteurs se sont dits très surpris par son attitude.

Lors de l’autopsie de Madame Rainville,  le spécialiste en pathologie judiciaire constate que l’aspect de la plaie et des fractures du crâne suggère que l’extrémité du canon touchait la tempe de Madame Rainville, ou du moins en était très proche, au moment du tir. Il en conclut que le projectile a « emprunté dans le corps une direction de la gauche vers la droite, d’avant vers l’arrière et pratiquement horizontale ». Il remarque également le dépôt de noir de fumée sur la paume de la main gauche de Madame Rainville qui avait tant intrigué le technicien en scène de crime, à proximité de l’articulation du cinquième doigt. Il observe au même endroit des écorchures superficielles et des particules de poudre. Il observe aussi, près du pouce de la main gauche, un second dépôt de noir de fumée, plus petit et moins prononcé que le premier. Un expert en balistique est consulté afin de tenter de reproduire une position compatible avec un suicide qui laisserait de telles traces sur la main gauche, vu la paralysie du côté droit de Madame Rainville. Il en vient à la conclusion que Madame Rainville n’a pas pu s’auto-infliger une telle blessure.

Lors de son procès devant jury, tenu en 2012, M. Delisle a décidé d’exercer son droit de ne pas témoigner. Plusieurs témoins sont entendus, dont la famille et des amis de l’accusé, qui viennent le décrire comme un père irréprochable, un mari extraordinaire et un homme sévère, intègre, droit, mais tellement juste aussi en même temps. Une ancienne secrétaire de M. Delisle a également témoigné, à l’effet qu’elle entretenait une liaison avec l’accusé depuis 2007 et avec lequel elle était supposée faire vie commune à la suite du décès de Madame Rainville.   Une notaire a aussi livré un témoignage concernant les montants substantiels que M. Delisle aurait dû donner à sa femme si jamais ils devaient divorcer. Deux experts balistiques ont aussi témoigné à l’effet que l’hypothèse du suicide est exclue puisqu’il serait impossible pour Madame Rainville d’avoir utilisé sa main gauche pour appuyer sur la détente tout en ayant la paume de cette même main suffisamment proche de la bouche du canon pour que s’y déposent des grains de poudre et de la suie, et que c’est nécessairement une autre personne qui a dû appuyer sur la détente.

La défense a produit une contre-expertise, démontrant la possibilité que le pistolet soit tenue d’une façon inhabituelle mais qui soit compatible avec les marques relevées sur le corps de Madame Rainville lors de l’autopsie.

Finalement, la preuve par la poursuite a permis d’établir que l’immeuble où demeurait le couple était bien sécurisé et qu’aucun indice d’une entrée par effraction n’a été relevé.

Le jury, suite aux délibérations, a rendu un verdict de culpabilité de meurtre au premier degré.

En appel, la Cour a regroupé les motifs en trois catégories : les erreurs alléguées lors de l’exposé final du juge, les déficiences dans la plaidoirie de la poursuite ainsi que le caractère déraisonnable du verdict de meurtre au premier degré.

Un des premiers motifs reprochés au juge concerne ses directives au sujet du rôle de la preuve balistique. Les experts entendus lors du procès se contredisaient. Les experts de la poursuite étaient d’avis que madame Rainville n’a pu elle-même presser la détente et qu’une autre personne a fait feu sur elle, les traces laissées sur sa main étant dues à un geste défensif de sa part au moment de la mise à feu. L’expert de la défense quant à lui prétendait que la plaie, la déformation du projectile, les traces à la main de madame Rainville indiquent clairement qu’il s’agit d’un tir auto-infligé et permet de conclure à un suicide. En fait, Il fallait éviter que le jury soit tenté de simplement choisir entre les opinions divergentes des experts en balistique, ce qui aurait privé l’appelant de son droit au bénéfice du doute raisonnable.

Ensuite, l’accusé reprochait au juge du procès l’admission des déclarations de M. Delisle prononcées dans la période qui a suivi le décès de Madame Rainville. Ces déclarations peuvent en fait être considérées à son avantage, puisqu’elles tendent à corroborer la thèse du suicide. M. Delisle a en effet constamment soutenu que sa femme s’était suicidée pendant qu’il était sorti pour faire des emplettes. Il ne fait donc aucun doute que ces déclarations devaient être soumises à l’attention du jury pour qu’il en tienne compte dans ses délibérations.

Pour ce qui est de la question du mobile, le juge a tenu les propos suivants en exposant les éléments favorables et défavorables à l’accusé : le mobile, c’est la raison qui peut pousser quelqu’un à agir, c’est une preuve dont vous pouvez tenir compte avec tous les autres éléments de preuve afin de décider de la culpabilité de l’accusé. Cependant, le mobile ne constitue pas un élément essentiel de l’infraction. La Couronne soutient ici que le mobile qui aurait poussé M. Delisle à commettre le meurtre de sa conjointe est à la fois amoureux et financier, c’est-à-dire qu’il veut faire vie commune avec sa maîtresse tout en conservant un patrimoine qu’il gère seul depuis le mariage. En l’espèce, il transparaît clairement de l’ensemble de la cause que la preuve du mobile n’était pas essentielle à la condamnation et ne faisait qu’appuyer la preuve matérielle.

Bref, la preuve balistique, les multiples déclarations disculpatoires de M. Delisle et la preuve du mobile auraient pu soulever un doute raisonnable dans l’esprit du jury. Bien qu’ils ne permettent pas de déterminer, à eux seuls, si Madame Rainville s’est donné la mort, ces éléments de preuve sont pertinents quant aux circonstances du décès. Par conséquent, ces éléments de preuve devaient être soumis au jury pour que celui-ci en apprécie la valeur probante.

Deuxièmement, il est vrai que le procureur du ministère public a commis une erreur au début de sa plaidoirie en demandant au jury : « la vraie question » est en ces termes : est-ce qu’il s’agit d’un suicide ou il s’agit d’un meurtre? » au lieu d’indiquer au jury qu’ils doivent se demander si le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé. Par contre, le juge du procès a bien repris les explications  et a corrigé l’erreur du ministère public en signalant au jury que les thèses du meurtre et du suicide ne devaient pas être abordées sur un pied d’égalité, qu’il suffisait que la thèse du suicide, qui était alors l’unique solution de rechange à la thèse du meurtre suite au procès, soulève un doute raisonnable pour que M. Delisle soit acquitté. Les directives du juge à cet égard ont donc adéquatement corrigé l’erreur du ministère public et  ont amplement remédié au tort qu’auraient pu causer à M. Delisle les quelques propos contestables du ministère public.

Finalement, pour ce qui est du caractère déraisonnable du verdict, la question est de savoir si le jury a tellement mal analysé la preuve des experts en balistique au point de rendre leur verdict déraisonnable. Deux éléments précis ont été discutés à ce sujet : l’angle du tir et les marques sur la main de Madame Rainville. Compte tenus des faits et de la preuve présentée, la Cour en vient à la conclusion qu’il n’était pas déraisonnable pour les jurés de retenir l’opinion des experts de la poursuite au détriment de celui de la défense, vu la confrontation de deux expertises contradictoires. Quant au fait que le meurtre ait été commis avec préméditation et propos délibéré, vu principalement le maquillage de la scène du crime en suicide et l’utilisation d’une arme à feu comme arme du crime ainsi que des directives du juge plus précises concernant ce que signifie les termes « propos délibérés ».  La  thèse de la préméditation est soutenue notamment par les projets de vie commune de M. Delisle avec sa maîtresse, ainsi que la preuve d’une conversation entre M. Delisle et sa maîtresse, à l’effet qu’il lui aurait dit qu’il cherchait une résidence pour placer son épouse, qu’il n’en aurait pas trouvé et qu’il lui demande si elle veut venir vivre avec lui, seulement quelques jours avant le décès de Madame Rainville. De plus, une reconstitution des évènements concorde davantage avec un geste réfléchi et non impulsif, d’où les propos délibérés. La Cour déclare également qu’aucun des éléments de preuve apportés par la défense, soit la bonne réputation de M. Delisle, les déclarations faites aux policiers qui sont trop préjudiciables pour avoir été planifiées et le caractère encore incertain de la vie commune avec sa maîtresse n’a une valeur probante telle qu’elle rend le verdict du jury déraisonnable.

L’appel est ainsi rejeté unanimement par les trois juges, et le verdict de culpabilité est maintenu. La seule façon pour M. Delisle maintenant d’en appeler à nouveau de cette décision est de formuler une demande pour permission d’appeler à la Cour Suprême du Canada, en invoquant une question de droit importante et d’intérêt national qui n’aurait jamais été décidée jusqu’à maintenant.

Pour plus d’informations concernant le droit criminel et pénal, nous vous invitons à communiquer avec Me Miguel Mpetsi-Lemelin, lequel se fera un plaisir de répondre à vos questions.

Rédigé par Bernier Fournier.

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