Clauses de non-concurrence : Attention à l’encre rouge!
En matière de rédaction juridique, bien que non conseillé, il est fréquent que les juristes insèrent dans les contrats des clauses-type ayant une portée très large, voire excessive, ainsi qu’une mention précisant le pouvoir discrétionnaire laissé au juge afin qu’il corrige et réduise l’étendue d’une telle clause.
Dans différents domaines du droit, cette pratique est acceptée et tolérée lorsque l’exercice de la liberté contractuelle des parties ne va pas à l’encontre de l’ordre public.
Conceptuellement, les clauses restrictives d’emploi comme les clauses de non-concurrence sont en soi assez simples: la personne qui s’engage à ne pas faire concurrence reconnaît ainsi à l’avance limiter l’exercice de son travail à la fin de son emploi pour une durée raisonnable, relativement à un champ d’activités précis et pour un territoire défini et ce, en contrepartie d’une prestation ou d’un certain bénéfice.
Il eut été une période où cette manière de faire était acceptée en matière de clauses de non-concurrence. Bien que cette pratique fut tolérée, certains détracteurs considéraient que l’utilisation de telles clauses-types dans un contrat d’emploi, incitaient les employeurs à élaborer des clauses excessives et représentaient un net désavantage pour les employés qui devaient solliciter l’intervention des tribunaux pour en réduire la portée.
La Cour suprême, en 2009, a ainsi scellé l’issue du débat et a répondu à la question suivante : lorsqu’une clause de non-concurrence est abusive quant à sa durée, est-ce que le tribunal peut et/ou doit la réajuster à la durée qui lui semble la moins abusive? Pour reprendre les propos du juge Rothstein, il fallait ainsi déterminer, au sens figuré, si le juge peut corriger la clause « à l’encre bleue » en rayant les éléments qui rendent la clause abusive ou s’il doit corriger la clause « à l’encre rouge » en déclarant invalide et inapplicable, purement et simplement, la clause qui est déraisonnable.
À cette question, le plus haut tribunal du pays, dans la décision Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western), a répondu qu’ils allaient désormais corriger « à l’encre rouge ». Conséquemment, les tribunaux de droit commun perdaient ainsi tout pouvoir discrétionnaire dans la réduction des obligations prévues à l’engagement de non-concurrence.
Les conséquences sont des plus importantes : si le juge en vient à la conclusion que la clause est déraisonnable sur un des trois critères de l’article 2089 du Code civil du Québec, il doit déclarer la clause invalide et par conséquent, dénuée de toute applicabilité et coercition.
Cette décision par la Cour suprême de proscrire toute utilisation du « stylo bleu » et de l’encre bleue met donc un terme à cet imbroglio juridique et assure une plus grande uniformité et constance dans le droit canadien.
Cette position rejoint également les principes de droit applicables dans quelques États américains (Arkansas, Wisconsin et la Virginie notamment). Cependant, il n’en reste pas moins que quelques États américains (Arizona, Colorado, Connecticut, Caroline du Nord, Indiana, Ohio et le Missouri) appliquent encore aujourd’hui la règle de l’encre bleue. Plus important encore, certaines juridictions américaines, dont l’État de New York, confèrent au magistrat le pouvoir plus étendu de reformuler les clauses restrictives d’emploi qu’il juge abusives ou ayant une portée excessive.
Sans faire une revue exhaustive de la situation applicable aux États-Unis en matière de clause de non-concurrence, il importe tout de même de souligner qu’il n’y a pas un cadre juridique uniforme national et applicable à tous les États, ce qui complique grandement la compréhension générale de telles clauses. À plus forte raison, il faudra se référer spécifiquement à la législation de chaque État afin de connaitre les règles applicables en cette matière.
En somme, compte tenu des enseignements de l’arrêt Shafron et des conséquences qui se dégagent d’une mauvaise rédaction, il est impératif d’apporter un soin particulier au respect des exigences législatives et jurisprudentielles en la matière. Les employés canadiens peuvent donc se compter chanceux d’avoir un cadre juridique bien défini, à l’inverse des différents salariés américains soumis à l’évolution jurisprudentielle constante qui est propre à la common law !
Avec la précieuse collaboration de Monsieur Raphaël Allard, étudiant en droit.