Hypothèque légale de la construction : un survol du processus
L’hypothèque légale de la construction est un mécanisme de protection de créance pour les personnes ayant participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble. Ce mécanisme de garantie, qui s’applique directement à l’immeuble sur lequel les travaux ont été effectués, est très avantageux pour ceux qui peuvent s’en prévaloir, à condition de le faire dans les règles.
Bénéficiaires
En principe, cette garantie bénéficie aux entrepreneurs et sous-entrepreneurs, architectes, ingénieurs, fournisseurs de matériaux et ouvriers pour les travaux qu’ils ont effectués ou les matériaux qu’ils ont fourni sur l’immeuble. Toutefois, les tribunaux ont souvent nuancé certains cas d’application de cette garantie.
Par exemple, les tribunaux ont précisé que les plans réalisés par un architecte doivent nécessairement être utilisés lors de la construction de l’immeuble afin de lui permettre de bénéficier de cette garantie1. Ils ont déclaré valide l’hypothèque légale prise par un gérant de projet dans un cas où ce dernier avait plutôt agit, selon la Cour, à titre d’entrepreneur général2. Ils ont déterminé que la personne qui effectue des travaux de construction sur plusieurs terrains contigus ne formant pas une unité d’exploitation (ce qui pourrait être le cas de certains projets domiciliaires) doit prendre une hypothèque légale sur chaque immeuble, individuellement3. Encore à titre d’exemple, ils ont indiqué qu’une hypothèque légale de la construction ne peut s’appliquer sur une maison bâtie en usine qu’à compter du moment où cette maison devient incorporée au sol (installée sur un terrain) de façon permanente4.
Étendue
L’hypothèque légale de la construction est une garantie qui s’élève jusqu’à concurrence de la plus-value apportée à l’immeuble, grâce aux travaux effectués ou aux matériaux fournis sur cet immeuble.
L’évaluation de cette plus-value peut poser certains problèmes et certains travaux ne sont tout simplement pas reconnus comme apportant une quelconque plus-value. C’est le cas notamment des travaux de faible envergure comme les petits travaux d’entretien, de rafraîchissement de peinture ou de sablage5. Ainsi, si l’ensemble des travaux effectués sur l’immeuble sont mineurs et que ces travaux n’augmentent pas la valeur de l’immeuble, impossible de bénéficier de l’hypothèque légale de la construction.
Par contre, il semble exister une présomption à l’effet que des travaux substantiels apportent une plus-value égale à la valeur totale de ces travaux6. C’est donc dire que si des travaux d’une valeur 100 000$ sont effectués sur un immeuble, la plus-value apportée serait présumée équivalente et l’hypothèque légale de la construction serait ainsi valide pour tout solde impayé sur ce contrat, jusqu’à concurrence de 100 000$ et ce, sans qu’il soit nécessaire de démontrer que les travaux ont réellement augmenté la valeur de l’immeuble pour autant.
La mise en œuvre de la garantie
1- Avis de dénonciation des travaux
Premièrement, la personne qui effectue les travaux ou qui fournit les matériaux et qui n’a pas contracté directement avec le propriétaire de l’immeuble se doit d’envoyer un avis écrit directement au propriétaire de l’immeuble afin de lui dénoncer son contrat.
Une telle dénonciation n’est donc pas nécessaire lorsque cette personne a contracté directement avec le propriétaire de l‘immeuble.
Cette dénonciation prend habituellement la forme d’un avis écrit transmis par courrier recommandé par l’entrepreneur. Un tel avis est nécessaire afin de permettre l’inscription ultérieure d’une hypothèque légale du domaine de la construction et il doit être envoyé avant le début des travaux.
En effet, l’hypothèque légale de la construction ne protège que les travaux effectués ou les matériaux fournis après qu’un tel avis de dénonciation ait été transmis.
2- Publication d’un avis d’hypothèque légale
Deuxièmement, l’avis d’hypothèque légale doit être publié au registre foncier dans un délai de 30 jours suivant la fin des travaux. Cette formalité est essentielle à la conservation de l’hypothèque7. Il s’agit d’un avis d’hypothèque légale désignant notamment l’immeuble sur lequel les travaux ont été effectués, son propriétaire ainsi que le détail des sommes dues à l’entrepreneur aux termes du contrat.
En matière d’hypothèque légale de la construction, il n’y a qu’une seule date de fin des travaux. Cette date est une question de faits. Elle pourrait, par exemple, être déterminée par un architecte ou un autre responsable du chantier établissant que les travaux ont été effectués et complétés en conformité avec les plans et devis. Cette date pourrait également être établie en fonction du moment où l’immeuble peut être utilisé aux fins pour lesquelles il est destiné bien que quelques travaux mineurs n’aient pas été complétés. Tel pourrait être le cas d’une maison qui deviendrait habitable et pleinement fonctionnelle bien qu’une partie de l’aménagement paysager ne soit pas complété. Il est aussi possible que les travaux aient été interrompus et repris par la suite, l’interruption n’emportant pas la fin définitive des travaux.
3- Préavis d’exercice d’un recours hypothécaire
Troisièmement, afin de préserver cette hypothèque, l’entrepreneur devra, dans les six mois suivant la fin des travaux, publier un préavis d’exercice d’un recours hypothécaire. L’entrepreneur aura ainsi le choix entre les recours suivants :
- Prise en paiement
- Prise de possession à des fins d’administration
- Vente par le créancier
- Vente sous contrôle de justice
L’hypothèque légale de la construction, d’autres principes
Restrictions
L’hypothèque légale de la construction est, comme son nom l’indique une hypothèque. Ce faisant, elle est également limitée face aux biens de l’État (art. 916 C.c.Q.). En effet, plusieurs immeubles appartenant aux divers organes du gouvernement et utiles au public ne peuvent être hypothéqués. Bien que chaque cas doit être évalué de manière attentive, il semble que certains juges aient conclu que les écoles, les hôpitaux et autres centres dédiés à la santé publique peuvent faire l’objet d’une hypothèque alors que les immeubles liés au service d’aqueduc et d’électricité, les bibliothèques, les ambassades, les métros, les aéroports et les chemins de fer ne peuvent être hypothéqués.
Par ailleurs, il est aussi possible que le contrat conclu entre le propriétaire de l’immeuble et l’entrepreneur prévoit expressément la renonciation de ce dernier à l’hypothèque légale de la construction. Dans ce cas, en respect de l’engagement, il sera impossible de se prévaloir de cette garantie.
Enfin, il existe des mécanismes de retenues des sommes dues que le propriétaire peut exercer pour éviter de devoir payer les sous-traitants si le constructeur ou l’entrepreneur général néglige de le faire.
Priorité
Finalement, l’hypothèque légale constitue une excellente sûreté pour les intervenants du domaine de la construction puisque celle-ci, validement publiée, confère à la personne qui en bénéficie une priorité hypothécaire. Ainsi l’entrepreneur détenant une hypothèque légale de la construction bénéficie d’un rang prioritaire pour la plus-value apportée à l’immeuble, notamment face aux institutions prêteuses ayant elles aussi publié une hypothèque sur le même immeuble et ce, bien que cette dernière ait été publiée avant celle de l’entrepreneur (art. 2952 C.c.Q.). Ainsi, si tout est fait selon les règles, l’entrepreneur sera payé en priorité par rapport à l’institution financière. De plus, cette priorité lui donne le droit de choisir le recours hypothécaire qu’il désire exercer parmi ceux ci-avant énumérés8.
Conclusion
En somme, force est de constater qu’en matière d’hypothèque légale de la construction, les règles à respecter sont nombreuses. Au surplus, les tribunaux ont interprété et nuancé de nombreux principes édictés par la loi afin de les adapter à chaque situation. Hormis les délais à respecter, bien des technicalités doivent être analysées en fonction des particularités de chaque cas. Tout entrepreneur aurait donc avantage à retenir les services d’un avocat afin de connaitre les possibilités qui s’offrent à lui.
Pour connaître nos services à ce sujet, n’hésitez pas à consulter notre rubrique Hypothèque légale de la construction.
1Boudreau c. 6140823 Canada Corp. (Devterra International), 2008 QCCA 1763, 2309-9708 Québec inc. c. Arel, [1996] R.D.I. 436 et LT Investments c. Schrier, [1973] C.S. 784.
2Alta Ltée c. Promenade de la Montagne Ltée, (C.S. 1995-01-20).
3Construction Raoul Pelletier (1997) inc. c. 24-34, Ste-Ursule, s.e.c., (C.A., 2005-01-31).
4Savard c. Ferlac Inc., (C.P., 1982-12-29).
5Beylerian c. Constructions et rénovations Willico inc., [1997] R.J.Q. 1246.
6CS Terrec inc. c. Renaud-Prescott, 2013 QCCS 1301.
7Denise Pratte. Les priorités et les hypothèques, Collection de droit 2013-2014, Chapitre I – Les principales règles relatives aux priorités et aux hypothèques, Cowansville, Y. Blais, 2013 citant Doré c. Construction Gaétan Savard inc., 2005 QCCA 1231 (CanLII).
8Vincent Karim. Contrats d’entreprise (Ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), contrat de prestation de services et l’hypothèque légale, 2e éd. Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, par. 1540 traitant des articles 2750 et 2952 C.c.Q.