La Cour suprême du Canada réitère l’importance du secret professionnel
Le secret professionnel représente une des pierres angulaires du système juridique canadien. Il assure la confidentialité de l’ensemble des informations et des documents transmis par la personne ayant recours à des services juridiques par l’entremise d’un avocat ou d’un notaire.
La Cour suprême du Canada a récemment réitéré l’importance du secret professionnel à l’occasion de la décision Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20¹.
Dans cet arrêt, la Cour s’est prononcée sur la validité constitutionnelle des demandes péremptoires adressées par l’Agence du Revenu du Canada (ci-après l’« ARC ») aux notaires et aux avocats par rapport à l’obligation de secret professionnel qu’ils ont envers leurs clients.
Plusieurs articles de la Loi sur l’impôt sur le revenu (ci-après la « L.I.R. ») permettent au Ministre du Revenu National (ci-après le « Ministre ») d’exiger d’une personne qu’elle fournisse des informations ou des documents à l’égard d’un contribuable. Dans le cadre des demandes péremptoires envoyées aux avocats et aux notaires, l’avis est acheminé sans qu’une copie soit nécessairement transmise à la personne concernée par l’avis. Au surplus, si le professionnel visé refuse de fournir l’information ou les documents demandés, la L.I.R. permet au Ministre d’avoir recours au tribunal afin de le forcer à transmettre les informations ou les documents sous peine d’emprisonnement.
Dans cet arrêt unanime, la Cour suprême du Canada confirme que ces demandes péremptoires de l’ARC constituent des saisies abusives au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la « Charte »). La Cour considère que le client a une attente raisonnable au respect de sa vie privée quant aux documents qui se trouvent en la possession de son avocat. De plus, l’avocat se doit de préserver la confidentialité des documents qu’il a en sa possession.
La Cour soulève quatre points afin d’expliquer pourquoi les demandes péremptoires de l’ARC sont abusives et contraires à l’article 8 de la Charte. Tout d’abord, une demande effectuée sans qu’aucun avis n’ait été transmis au client a été considérée comme abusive. La Cour rappelle que le secret professionnel appartient au client et non à l’avocat. Ce dernier ne peut communiquer des informations et des documents à l’ARC sans l’accord préalable de son client. La Cour ajoute que les intérêts du client et de l’avocat pouvant être divergents, ce dernier pourrait avoir des raisons de divulguer les informations et les documents de son client sans son autorisation.
Le deuxième point soulevé par la Cour suprême concerne le fardeau imposé au conseiller juridique. Le professionnel doit s’objecter aux demandes de l’ARC afin de préserver le secret professionnel. Lorsque les informations et les documents sont transmis, il n’y a pas de moyen pour remédier aux conséquences y découlant puisque la L.I.R. ne prévoit pas de possibilité pour le client de présenter une demande au tribunal pour contester la validité de la transmission des documents et des informations.
L’absence de nécessité absolue d’obtenir la divulgation de la part des avocats ou des notaires est le troisième point qui a été soulevé par les neuf juges de la Cour suprême. D’autres solutions s’offrent à l’ARC pour lui permettre d’obtenir les informations visées sans enfreindre l’obligation de secret professionnel. Par exemple, l’ARC peut se référer aux institutions financières puisque celles-ci ont accès à l’information convoitée. De plus, le Ministre n’a pas démontré à la Cour que l’ARC a épuisé tous ses recours avant d’adresser ses demandes péremptoires aux avocats et aux notaires.
Le quatrième point soulevé est que la portée de la L.I.R. pourrait possiblement être atténuée pour combler les lacunes du régime actuel à l’instar de Revenu Québec qui s’engage à reconnaître prima facie que certains documents sont protégés par le secret professionnel et ne peuvent pas faire l’objet de demandes péremptoires.
Fait intéressant, la Cour confirme que l’exception de la L.I.R. qui exclut les relevés comptables ou les chèques de la protection du secret professionnel porte également atteinte à l’article 8 de la Charte.
En somme, la Cour affirme que l’ensemble des articles visés par le jugement, dont l’exception relative aux relevés comptables, ne constitue pas une atteinte minimale au secret professionnel et ne peut être sauvegardé par l’article premier de la Charte. Ainsi, ces articles de la L.I.R sont inconstitutionnels et inapplicables dans la mesure où ils s’appliquent à des notaires et à des avocats.
¹http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2016/2016csc20/2016csc20.html?resultIndex=1.