Quand le caractère imprécis d’un règlement municipal mène à sa nullité
De nos jours, la règlementation est omniprésente dans notre quotidien et ne cesse d’occuper une place de plus en plus importante. En effet, chaque année, une multitude de nouvelles dispositions règlementaires et de nouveaux règlements sont adoptés et entrent en vigueur sans même que nous le réalisions. Corrélativement, en application du vieil adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi », le droit québécois demande à tous les citoyens de connaître la loi, principe auquel la règlementation ne saurait se soustraire. Cependant, s’agissant bien évidemment d’une obligation qui peut être lourde de conséquences, les tribunaux ont, à tout le moins, dégagé au fil du temps quelques exceptions permettant d’échapper à une application trop générale de ce principe.
L’une de ces exceptions vise les situations où un texte juridique est libellé de façon imprécise de manière telle à en rendre sa compréhension laborieuse, voire même impossible. Il arrive à l’occasion que des règlements soient si imprécis que les personnes qui y sont soumises n’arrivent pas à comprendre avec exactitude quelles conduites adopter pour que leurs actes soient conformes à la règlementation en vigueur. Or, le principe fondamental selon lequel le libellé des règlements ne peut être imprécis, indéterminé ou vague sous peine de nullité du règlement vise précisément ce genre de situations.
La jurisprudence a d’ailleurs reconnu depuis de nombreuses années « qu’un règlement n’est applicable que lorsqu’on est en mesure d’en comprendre la portée.¹ » Ce principe vise ainsi à s’assurer que l’ensemble des individus visés par un règlement soit en mesure d’en comprendre la portée. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada a conclu dans un jugement que le droit à ce que les lois ne soient pas trop imprécises constituait un principe de justice fondamental protégé par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés². Ainsi, une disposition législative imprécise, qui n’arrive pas à constituer un guide suffisant pour permettre un débat judiciaire, pourra être déclarée inconstitutionnelle³.
En somme, afin de conclure au caractère imprécis d’un texte législatif, il est nécessaire d’appliquer la théorie de l’imprécision. Évidemment, bien qu’une disposition légale puisse comporter un certain degré d’imprécision, il ne sera pas pour autant automatiquement possible d’en demander la nullité. En effet, la théorie de l’imprécision prévoit deux paramètres qui devront être analysés avant de déterminer l’imprécision d’une disposition légale au point d’en demander la nullité. Ainsi, dans le cadre de son application, les tribunaux évalueront, d’une part, le critère de l’avertissement raisonnable et, d’autre part, le critère de la limitation du pouvoir discrétionnaire dans la mise en œuvre des règlements.
L’avertissement raisonnable
Le critère de l’avertissement raisonnable implique qu’un citoyen doit d’abord être en mesure de connaître les droits et les obligations auxquels il est assujetti, et ce, à la lecture même d’une disposition légale. Si tel n’est pas le cas, cette disposition légale sera susceptible d’être déclarée nulle par les tribunaux. Ainsi, dans l’éventualité où un texte de loi est rédigé de façon telle que les individus visés par celui-ci ne sont pas en mesure de comprendre clairement leurs obligations, ces derniers pourront se tourner vers les tribunaux pour en demander la nullité de par le caractère vague et imprécis de ce texte de loi4. Le critère de l’avertissement raisonnable prévoit qu’il faut minimalement qu’un citoyen ait « la conscience qu’une certaine conduite est assujettie à des restrictions légales5 ».
Enfin, la jurisprudence a également considéré non exécutoires les règlements qui, à cause de leur caractère imprécis, faisait en sorte d’octroyer une forme de discrétion aux personnes en charge de leur application. Ainsi, il ne faut pas que le fonctionnaire qui a pour tâche d’appliquer un règlement dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer quels comportements ou quelles activités sont prohibés.
La limitation au pouvoir discrétionnaire
Un des principes sur lequel repose la règlementation municipale est celui de l’application uniforme. Il ne doit y avoir aucun pouvoir arbitraire accordé au fonctionnaire chargé de mettre en œuvre les droits et les obligations prévus par les textes règlementaires.
Comme l’indiquait le tribunal dans l’affaire de la Ville d’Acton Vale c. Roger Raymond6, le citoyen doit comprendre comment il doit agir pour être conforme aux dispositions règlementaires. La Cour analysait également le pouvoir discrétionnaire du fonctionnaire en indiquant que « [c]ette subjectivité ne permet pas au citoyen d’ajuster sa conduite de façon à respecter le sens du règlement. » Le règlement ne doit être attributif d’aucune discrétion. Le fonctionnaire doit recevoir des indications claires et disposer de critères établis pour déterminer la légitimité des actes.
Somme toute, la discrétion du fonctionnaire ne doit pas empêcher un citoyen de connaître ses droits et obligations. Afin de respecter les règlements en vigueur, une personne doit être en mesure de déterminer les actes qui lui sont permis. Subséquemment, il ne faut pas que les comportements acceptés ou prohibés par un texte règlementaire reposent uniquement sur l’arbitraire du fonctionnaire qui l’applique.
En conclusion, un citoyen doit pouvoir déterminer, et ce, en tout temps, les obligations qui lui incombent et les droits qui lui sont accordés en vertu de la règlementation. La lecture d’un texte législatif doit être accessible à toutes les personnes qui sont soumises aux conséquences de l’application de ce texte. De plus, il faut que la mise en œuvre d’un règlement soit uniforme et non discrétionnaire. Un texte règlementaire qui ne respecte pas ces deux éléments cumulatifs pourrait être annulé par les tribunaux.
Rédigé avec la collaboration de Madame Elizabeth Croteau, étudiante en droit.
1Shawinigan (Ville) c. Désaulniers, 2003 QCCM 55376.
2R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 RCS 606.
3Id.
4Ville de Saint-Laurent c. Régie des rentes du Québec
5R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, préc., note 2.
6Ville d’Acton Vale c. Roger Raymond, BJCMQ 2002-074. p.8