La clause de non-concurrence : l’application au stade de l’injonction interlocutoire
Dans la plupart des cas, et ce, par la nature même des objectifs qu’une clause de non-concurrence a pour objet de protéger, les employeurs qui se sont munis de telles clauses désireront être entendus par les tribunaux pour en obtenir l’application le plus rapidement possible.
Or, afin de rendre jugement sur l’application d’une clause de non-concurrence, la Cour applique l’examen habituel requis dans le cadre de toute demande d’injonction interlocutoire, soit l’évaluation de l’apparence de droit invoquée, de la balance des inconvénients pour chaque partie ainsi que du préjudice irréparable causé au demandeur dans le cas où l’injonction interlocutoire n’est pas accordée. Il est à noter qu’une procédure d’injonction interlocutoire est traitée en urgence et est en conséquence souvent entendue dans les quelques semaines ou les quelques mois qui suivent l’institution de la procédure.
Ainsi, dans la présente publication, nous étudierons les trois critères ci-haut mentionnés dans le cadre précis d’une demande d’injonction interlocutoire en matière d’application d’une clause de non-concurrence.
L’apparence de droit
Lorsque la Cour est saisie d’une demande d’injonction interlocutoire, elle devra tout d’abord trancher sur le premier critère, soit celui de l’apparence de droit. À cet effet, il est bon de rappeler que la clause de non-concurrence doit être raisonnable sous trois aspects : la durée, le territoire et l’objet, selon l’article 2089 du Code civil du Québec. Par contre, il est à noter que la Cour sera moins exigeante sur l’étendue de la clause en matière de vente d’entreprise qu’en matière de relation d’emploi.
En somme, dans le cas où l’apparence de droit est évidente, la Cour passera immédiatement à l’analyse du troisième critère, soit celui du préjudice irréparable dont nous traiterons postérieurement1. Si l’apparence de droit est incertaine, la Cour analysera, en plus du troisième critère, le second, soit celui de la balance des inconvénients. Enfin, si la Cour arrive à la conclusion qu’aucune apparence de droit n’a été démontrée, elle pourrait immédiatement mettre un terme à son analyse en refusant l’injonction interlocutoire et, au surplus, aller jusqu’à rejeter complètement la demande si elle estime que la partie demanderesse n’a aucune chance de succès.
Dans le cas d’une clause de non-concurrence, l’analyse effectuée par le Tribunal consistera souvent à apprécier la validité d’une clause à première vue. À cet effet, une clause de non-concurrence considérée comme étant illégale pourrait emporter immédiatement la fin du recours :
« Si la clause est carrément illégale, et qu’on peut le démontrer tout de suite, suivant un débat contradictoire, le litige est terminé et l’on n’a pas à se rendre à l’interlocutoire pour avoir une seconde chance de plaider la légalité.2 »
Il est donc nécessaire, afin de répondre au premier critère, que la clause de non-concurrence faisant l’objet d’un litige respecte les critères établis par la jurisprudence et qu’elle soit considérée comme étant légale ou, à tout le moins, qu’elle revête une apparence de légalité
La balance des inconvénients
Le critère de la balance des inconvénients se résume à déterminer pour quelle partie les inconvénients sont les plus importants. Dans son analyse, le Tribunal doit évaluer les conséquences qu’aurait une telle mesure ainsi que son étendue et sa portée. À titre d’exemple, dans la situation où un individu quitte volontairement un emploi pour un autre et que l’imposition d’une mesure injonctive aurait pour conséquence de le priver complètement de travail alors que cette situation ne se traduirait que par une perte de revenus pour la personne ou l’entreprise requérant l’imposition d’une telle mesure, la Cour a tendance à pencher en faveur du travailleur. En effet, les tribunaux sont généralement très hésitants à empêcher quelqu’un d’utiliser ses compétences professionnelles qui lui permettent de gagner sa vie. À cet égard, le passage suivant résume bien l’opinion générale de nos tribunaux :
« Le droit de la requérante de restreindre l’intimé à cet égard comporte cependant des limites. La requérante ne peut empêcher l’intimé d’utiliser, même au profit de Behlen, ses aptitudes subjectives, c’est-à-dire son adresse, sa compétence et sa capacité intellectuelle. Elle ne peut pas non plus interdire à l’intimé d’utiliser la formation, l’entraînement et les connaissances qu’il a pu acquérir aux services de la requérante. Ces acquis font maintenant partie de son être intellectuel et on ne peut pas l’empêcher de les mettre à profit.3 »
En somme, le Tribunal doit évaluer subjectivement l’ensemble des circonstances entourant une demande d’ordonnance de nature injonctive avant de statuer sur celle-ci, et ce, afin de s’assurer que les parties ne sont pas brimées dans leurs droits.
Le préjudice irréparable
Lorsque le Tribunal qui entend la demande d’injonction interlocutoire est d’avis que l’apparence de droit est claire ou encore dans le cas où il conclut que cette dernière est incertaine, mais que la balance des inconvénients milite en faveur du demandeur, celui-ci devra alors procéder à l’évaluation du troisième critère, soit celui du préjudice irréparable.
Lors de l’évaluation du critère du préjudice irréparable, le Tribunal devra déterminer si le fait d’accorder ou non l’injonction interlocutoire demandée causera un préjudice à la partie demanderesse qu’on peut qualifier d’irréparable.
Notamment, en matière de clause de non-concurrence, la Cour a souvent édicté que la perte de la clientèle, bien que chiffrable, constitue un préjudice irréparable. À cet effet, la Cour d’appel mentionne :
« La jurisprudence reconnaît généralement que la compensation en dommages-intérêts pour la perte de clientèle est un recours insatisfaisant et aléatoire parce que le dommage est difficilement mesurable de telle sorte qu’il devient irréparable.4 »
En conséquence, une demande d’injonction interlocutoire en matière de clause de non-concurrence pour lequel le motif soulevé par la partie demanderesse est celui de la perte de clientèle sera généralement accordée par les tribunaux dans la mesure où, bien entendu, une telle demande répond aux deux premiers critères. Dans le cas contraire, la demande d’injonction sera probablement rejetée.
Injonction provisoire : une mesure d’urgence
Dans le cas où la partie demanderesse est en mesure de démontrer au Tribunal l’urgence de sa demande, la Cour peut ordonner, sans entendre l’autre partie, une injonction provisoire sur l’évaluation des mêmes critères que ceux de l’injonction interlocutoire. Cependant, une telle ordonnance d’injonction interlocutoire ne sera valide que pour un maximum de dix jours, bien que renouvelable jusqu’à l’audition de la requête en injonction interlocutoire, tel que mentionné par l’article 510 de Code de procédure civile.
Conclusion
Afin d’éviter qu’une clause de non-concurrence ne soit invalidée par un Tribunal, il est important de s’assurer que celle-ci soit claire et, surtout, qu’elle respecte les critères établis tant par la loi que par la jurisprudence. À cet égard, il est plus prudent de consulter un professionnel du droit qui sera en mesure de vous guider et vous conseiller dans l’élaboration et la rédaction de clauses de non-concurrence.
Que ce soit lors de l’embauche d’un employé en cours d’emploi ou lors de la signature d’une entente commerciale, soit par l’achat d’une entreprise ou lors d’une convention entre actionnaires, il est utile de rappeler qu’au Québec, une clause de non-concurrence qui sera jugée excessive ne sera pas corrigée mais plutôt déclarée nulle .
Rédigé avec la collaboration de Madame Andrea Houle-Selby, étudiante en droit.
1Il est à noter que le 23 août 2016, la Cour supérieure a rendu le jugement Pivotal Payments Corporation c. Kukura 2016 QCCS 3969 dans lequel elle a déterminé que, bien que les tribunaux québécois ne semblent pas prévoir l’analyse systématique du critère de la prépondérance des inconvénients, les arrêts de la Cour suprême énoncent que ce critère n’est pas conditionnel à ce que le droit invoqué par le demandeur soit douteux. L’analyse du critère de la prépondérance des inconvénients serait donc nécessaire même en la présence d’une apparence de droit claire. Voir notamment l’arrêt Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311.
2TQS inc. c. Pelletier, 2009 CanLII 597 (QC C.S.).
3Paul-Arthur GENDREAU, France THIBAULT, Denis FERLAND, Bernard CLICHE, Martine GRAVEL, L’Injonction, Les Éditions Yvon Blais inc., 1998, pages 121.
4Paul-Arthur GENDREAU, France THIBAULT, Denis FERLAND, Bernard CLICHE, et Martine GRAVEL, L’injonction, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1998, pp. 121-122.