Le caractère discriminatoire d’un questionnaire médical pré-emploi
Le 2 février 2017, le Tribunal des droits de la personne (ci-après nommé le « Tribunal ») a statué sur la légalité d’un questionnaire médical administré dans le cadre du processus d’embauche d’une potentielle employée1. Celui-ci en est venu à la conclusion que ce genre de questionnaire peut être discriminatoire au sens de la Charte des droits et libertés de la personne (plus communément appelée la Charte québécoise) dépendamment de la nature des questions posées et de leur lien avec l’emploi dont il est question.
Dans cette affaire, le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Thérèse-de-Blainville était en processus de recrutement afin de pourvoir à un poste de psychologue. La candidate A.A., psychologue, a soumis sa candidature pour ce poste et celle-ci a été convoquée, en octobre 2012, pour une entrevue d’embauche.
Le processus de sélection se déroulait en trois (3) étapes. Tout d’abord, la candidate A.A. a complété un formulaire général d’informations ainsi qu’un questionnaire médical. Les membres du comité de sélection l’ont par la suite rencontrée. Finalement, elle a rencontré un infirmier qui a révisé le questionnaire médical et qui a émis ses recommandations sur son aptitude à l’emploi. Le questionnaire médical comportait huit (8) pages contenant des questions d’identification et d’autres sur ses habitudes de vie, ses antécédents occupationnels, ses antécédents médicaux et son état de santé.
A.A. a ainsi complété le questionnaire médical, mais a ensuite fait part de ses réticences quant à la légalité dudit questionnaire à l’infirmier qu’elle avait rencontré. Elle a subséquemment été convoquée pour une deuxième entrevue, mais a décliné l’invitation, se disant encore mal à l’aise vis-à-vis le questionnaire médical.
En décembre 2012, A.A. a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse eu égard au questionnaire médical qu’elle a complété dans le cadre de son entrevue d’embauche.
Le litige est donc fondé principalement sur l’article 18.1 de la Charte des droits et libertés de la personne2, lequel prévoit que nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur « la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap »3. D’ailleurs, en 2002, le Tribunal a établi que le simple fait de poser des questions sur ces sujets constitue une violation de la Charte des droits et libertés de la personne : le plaignant n’a donc pas à démontrer que les renseignements recueillis ont été utilisés à des fins discriminatoires4.
Cependant, un questionnaire médical portant sur une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi est réputé non discriminatoire5.
Dans le cas qui nous occupe, le Tribunal devait donc déterminer si les questions contenues dans le questionnaire médical étaient directement et rationnellement en lien avec les aptitudes ou qualités requises pour le poste de psychologue. Après analyse, le Tribunal a conclu que les questions ouvertes, donc « à formulation très large qui requièrent des informations qui ne sont pas ciblées dans le temps »6, sont « une intrusion injustifiée dans la vie privée du postulant »7. Ainsi, les questions portant sur l’âge du candidat, le nom de ses médecins traitants ou de ses spécialistes et les questions non-ciblées dans le temps concernant les blessures, les accidents, les maladies et la médication n’ont pas été considérées comme étant en relation avec les aptitudes ou les qualités requises pour le poste de psychologue. Ces questions contrevenaient donc à la Charte des droits et libertés de la personne.
Suivant les principes énoncés par cette récente décision, les employeurs doivent agir prudemment lors de l’utilisation de questionnaires médicaux pré-emploi dans le processus de sélection. En effet, ceux-ci peuvent être discriminatoires si non basés sur les qualités ou aptitudes requises pour l’emploi, ce qui donne la possibilité aux candidats de demander la réparation de cette atteinte à leurs droits fondamentaux.
Néanmoins, il importe également de constater que ce ne sont pas tous les questionnaires pré‑embauches qui s’avèrent discriminatoires. Tout dépend du type de questions posées par l’employeur et de leur lien avec l’emploi convoité. En effet, un questionnaire rempli à l’étape de l’entrevue de sélection et contenant uniquement des questions pertinemment liées aux aptitudes ou aux qualités requises pour l’emploi en question ne crée pas de discrimination et, donc, aucune réparation ne peut être demandée. Au contraire, ce ne sont que des questions ouvertes, n’ayant pas de lien rationnel avec les aptitudes ou les qualités requises pour l’emploi, particulièrement lorsqu’elles concernent le dossier médical d’un candidat, qui ouvrent la porte à une réparation.
Ainsi, les employeurs ne doivent pas voir les questionnaires médicaux pré-emploi comme entraînant toujours une violation des droits et libertés des candidats potentiels. Cependant, ils doivent faire preuve de prudence lors de la rédaction et de l’utilisation de ces questionnaires, ce qui leur permettra ainsi d’obtenir les informations nécessaires sur les candidats sans pour autant poser des questions discriminatoires et non justifiées.
Rédigé avec la collaboration de Monsieur Alex Arsenault-Ouellet, stagiaire en droit.
1Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville), 2017 QCTDP 2.
2Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 18.1 : « Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande »
3Charte des droits et libertés de la personne, préc., note 2, art. 10.
4Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Transport en commun La Québécoise Inc., 2002 CanLII 9226 (QC TDP).
5Charte des droits et libertés de la personne, préc., note 2, art. 20 : « Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi, ou justifiée par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif d’une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d’un groupe ethnique est réputée non discriminatoire. »
6Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville), préc., note 1, par. 138.
7Id., par. 137.