L’obligation d’information s’étend au-delà du bien vendu.
Dans le cadre de la conclusion d’un contrat de vente, les notions de dol et de vices cachés sont souvent incomprises et confondues, et ce, autant par l’acheteur que par le vendeur. En décembre 2018, la Cour d’appel du Québec a eu l’occasion de rendre un jugement1 concernant ces deux notions et les obligations qui en découlent, notamment l’obligation de renseignement reposant sur le vendeur. À cette occasion, la Cour d’appel a accueilli l’appel de l’entreprise Le Monarque du Richelieu inc., renversant par le fait même la quasi-entièreté du jugement de première instance2. Elle a alors rappelé que, les concepts de vice caché et de dol étant distincts, l’exclusion de la garantie légale contre les vices cachés n’exonère pas le vendeur de son obligation de bonne foi dans le cadre de la conclusion d’un contrat de vente.
Contexte
L’appelante dans cette affaire, également demanderesse en première instance, est un promoteur immobilier incorporé sous la raison sociale Le Monarque du Richelieu inc. Les intimés sont deux compagnies ainsi que leur tête dirigeante, respectivement Le Boisé Richelieu inc., 9149-9178 Québec inc. et Daniel Levasseur. Au cœur du litige : la présence d’argile sous-consolidée dans certains des terrains vendus par les intimés à l’appelante. En effet, en décembre 2000, les intimés deviennent propriétaires d’un certain nombre de terrains à Trois-Rivières, dans le but d’y faire du développement résidentiel. Or, suite à la construction de certains immeubles, les fondations de ceux-ci « s’affaissent en raison de la présence d’argile sous-consolidée dans le sol »3. En 2001, ils décident alors de consulter un expert, qui les conseille sur la marche à suivre afin de découvrir si de l’argile se trouve dans le sol et, le cas échéant, comment mitiger cette problématique dans le but de construire des immeubles. Ils mettront ainsi les conseils de l’expert en application dans la construction des immeubles subséquents, sans toutefois rencontrer d’argile à nouveau à l’occasion des constructions suivantes.
En 2008, la partie appelante entre en contact avec les intimés dans le but d’acheter les terrains non encore développés. Les négociations quant à cette transaction s’échelonnent sur une année complète et durant la totalité des pourparlers, les parties discutent de drainage, de remblayage, de trous et de remplissage. Il n’est toutefois jamais question « de la présence de glaise ou d’argile »4. Suite à ces représentations des intimés, l’appelante est sécurisée et n’effectue pas d’analyse de sol, qui aurait pu lui permettre de découvrir l’existence d’argile à certains endroits sur les terrains achetés. Ainsi, l’appelante acquiert les terrains des intimés le 22 mai 2009.
Fait intéressant dans cette affaire, les parties avaient inclus au contrat de vente des terrains une clause d’exclusion de garantie légale à laquelle il était prévu que le vendeur (les intimés) n’ « accorde aucune garantie du sol ce dernier n’ayant fait aucune expertise de quelque nature que ce soit. »5
Malheureusement, lorsque l’appelante débute le développement de la deuxième phase de son projet immobilier, soit sur la même rue où les intimés avaient découvert de l’argile sous-consolidée, « elle constate que les fondations d’un des immeubles ne sont plus à niveau »6. Comme l’avaient fait les intimés plusieurs années avant elle, l’appelante consulte un expert afin que ce dernier détermine la cause du problème. L’analyse démontre évidemment la présence d’argile sous-consolidée dans le sol! Lorsqu’elle apprend que les intimés savaient qu’il y avait de l’argile dans certains des terrains sur lesquels ils avaient eux-mêmes construit des immeubles, l’appelante comprend que ces derniers ont volontairement omis de lui divulguer la situation.
Conséquemment, l’appelante, « se disant victime de dol »7, décide de poursuivre les intimés, auxquels elle reproche de ne pas lui avoir divulgué l’existence d’argile dans les terrains à proximité de ceux qui lui ont été vendus.
Jugement de première instance
Le 3 octobre 2016, le juge Marc Paradis rend un jugement dans lequel il rejette la requête de l’appelante. Il écarte d’abord la possibilité que la présence d’argile dans les terrains vendus constitue un vice caché. En effet, il rappelle que la garantie légale contre les vices cachés couvre uniquement « le vice qui affecte le bien vendu »8. Or, les intimés ne savaient pas qu’il y avait de l’argile dans le sol des terrains vendus à l’appelante, les seules analyses qu’ils avaient eux-mêmes réalisées l’ayant été sur les terrains ne faisant pas partie de la transaction.
Lorsqu’il se penche sur la question du dol, le juge Paradis affirme que la règle de bonne foi, prévue par l’article 1375 du Code civil du Québec9, n’emportait pas une obligation de divulgation de la part des intimés. Afin de parvenir à cette conclusion, il calcule le pourcentage de terrains pour lesquels un problème d’argile avait été constaté de la part des intimés. Seuls 3 sur les 400 terrains développés par les intimés se trouvaient dans cette situation. Constatant « le caractère négligeable de la présence d’argile »10 rencontrée par les intimés sur ses propres terrains, il détermine que ces derniers n’avaient pas l’obligation légale d’en faire part à l’appelante. Le juge de première instance ajoute au surplus qu’il n’avait pas été démontré que les intimés avaient connaissance de quelque présence d’argile sous-compactée sur les terrains vendus à l’appelante, puisqu’ils n’y avaient pas effectué d’expertise.
Analyse des juges de la Cour d’appel
Guère satisfaite de la décision du juge de première instance, Le Monarque du Richelieu inc. en interjette appel. C’est donc dans ce contexte que la Cour d’appel du Québec a l’opportunité d’étudier la notion de dol en relation avec la garantie légale contre les vices cachés.
Relativement au dol, la Cour rappelle d’abord que, lors de la conclusion d’un contrat, c’est sur l’obligation d’agir de bonne foi « que repose l’obligation de renseignement ou d’information »11. Ainsi, un vendeur a l’obligation d’informer l’acheteur de tous les faits qui pourraient influencer son consentement de manière significative. Or, le fait de manquer à cette obligation peut être qualifié de dol, en vertu de l’article 1401 du Code civil du Québec :
L’erreur d’une partie, provoquée par le dol de l’autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.
Le dol peut résulter du silence ou d’une réticence.
Ensuite, la Cour d’appel précise que, quoi qu’elles puissent s’entrecouper, l’obligation de renseignement et la garantie légale contre les vices cachés sont deux notions différentes. En effet, la première protège la validité du consentement de l’acheteur, alors que la seconde garantit « l’intégrité de l’usage du bien »12. Or, la Cour d’appel considère que le juge de première instance a erré en confondant les deux notions. Elle explique d’abord que, alors que la garantie contre les vices cachés se limite à l’intégrité du bien vendu par les intimés, l’obligation de renseignement est plus large. Ainsi, la présence d’un dol doit être évaluée en fonction du caractère déterminant de l’information non transmise à l’acheteur, peu importe si elle se rapporte directement au bien vendu. Dans le cas en l’espèce, l’information était déterminante pour l’appelante qui aurait négocié différemment si elle avait été consciente de la présence possible de l’argile dans les terrains vendus.
En ce sens, la Cour d’appel considère que le calcul du pourcentage des terrains affectés réalisés par le juge de première instance n’était pas pertinent.
Le juge de première instance devait simplement s’en tenir au constat que l’information était susceptible d’influencer le comportement de l’appelante. Il revenait à l’appelante d’évaluer son risque en ayant les informations nécessaires en main afin d’être en mesure de donner un consentement éclairé.
De plus, la Cour considère que l’exclusion de garantie des intimés qui indique qu’aucune expertise n’a été effectuée sur les terrains vendus consiste en « une demi-vérité assimilable à un dol »13 puisque l’expertise qui avait été effectuée en 2001 et sur laquelle s’étaient fondés les intimés pour la construction de leurs immeubles subséquents visait des terrains dans le même secteur que les terrains vendus. Finalement, en se basant sur le droit applicable, la Cour d’appel infirme la décision de première instance et condamne les intimés à payer des dommages-intérêts à l’appelante qu’ils ont lésée.
À retenir de cette décision
Pour conclure, il est important de comprendre que la garantie légale contre le vice caché et l’obligation de renseignement sont deux notions distinctes, la dernière offrant néanmoins une protection plus étendue aux acheteurs. Ces derniers sont ainsi en droit de s’attendre à ce que le vendeur communique toutes les informations objectivement susceptibles d’influencer leur consentement. Ainsi, même lorsque la garantie légale contre les vices cachés est exclue du contrat de vente, l’acheteur conserve ses recours dans le cas où le vendeur ne divulguerait pas toute information déterminante relativement à la vente. Cette obligation d’information existe par ailleurs même en l’absence de questions précises de la part de l’acheteur, celle-ci découlant simplement de l’obligation de bonne foi.
Rédigé avec la collaboration de Madame Laury-Ann Bernier, LL.M.
1Monarque du Richelieu inc. c. Boisé Richelieu inc., 2018 QCCA 2168.
2Monarque du Richelieu inc. c. Boisé Richelieu inc.,2016 QCCS 5164.
3Monarque du Richelieu inc. c. Boisé Richelieu inc., préc., note 1, par. 3.
4Monarque du Richelieu inc. c. Boisé Richelieu inc., préc., note 1, par. 6.
5Id., par. 7.
6Id., par. 9.
7Monarque du Richelieu inc. c. Boisé Richelieu inc., préc., note 1, par. 16.
8Monarque du Richelieu inc. c. Boisé Richelieu inc., préc., note 2, par. 62.
9Code civil du Québec, art. 1375.
10Monarque du Richelieu inc. c. Boisé Richelieu inc., préc., note 2, par. 69.
11Monarque du Richelieu inc. c. Boisé Richelieu inc., préc., note 1, par. 21.
12Id., par. 24.
13Monarque du Richelieu inc. c. Boisé Richelieu inc., préc., note 1, par. 31