Est-ce qu’un acheteur peut annuler sa promesse d’achat s’il découvre, a posteriori, que l’immeuble qu’il convoite est détenu en copropriété indivise?


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Le marché immobilier résidentiel québécois est en pleine croissance depuis plusieurs années, tel que le démontre l’augmentation des ventes annuelles de propriétés résidentielles, et ce, depuis 20151. Toutefois, une expansion du marché immobilier résidentiel ne représente pas nécessairement un allègement du processus d’achat-vente. L’achat ou la vente d’une propriété résidentielle demeure une décision importante aux multiples implications. Le processus d’achat ou de vente d’une demeure comprend plusieurs étapes. L’une d’entre elles, communément appelée « offre d’achat » ou « promesse d’achat », revêt un caractère très important. Cette promesse d’achat est le moyen par lequel un acheteur signale au vendeur son intention ferme d’acquérir sa propriété à certaines conditions. Une fois la promesse d’achat acceptée par le vendeur, elle devient un engagement formel liant les deux parties. Néanmoins, dans certaines circonstances, un acheteur peut considérer, à bon droit, cet engagement nul, notamment lorsqu’il a été induit en erreur sur l’objet de son acquisition ou sur un élément essentiel de celui-ci. Dans un jugement récent, la Cour du Québec s’est penchée précisément sur cette question et a conclu que les acheteurs étaient justifiés de considérer la promesse d’achat signée nulle et résolue2.

Historique menant au litige

La demanderesse acquiert un immeuble neuf d’un constructeur en 2011. Cet immeuble est une maison bifamiliale comprenant une copropriété indivise pour le terrain situé à l’arrière du bâtiment.

Un règlement de zonage de l’aire où est située la propriété prohibe les bâtiments jumelés. Ainsi, afin de respecter le règlement de zonage de la ville, les entrepreneurs ont contourné l’interdiction de construire deux bâtiments « jumelés » en construisant une résidence bifamiliale avec copropriété indivise pour le terrain.

La demanderesse a toujours cru, jusqu’au litige faisant l’objet du jugement susmentionné, qu’elle était propriétaire de sa maison avec la propriété exclusive du terrain sur lequel elle est située tant à l’avant qu’à l’arrière.

D’ailleurs, lorsqu’elle procède à la vente sur le site de DuProprio au printemps 2017, la demanderesse décrit sa résidence en employant les termes « magnifique jumelé ». Elle n’indique nulle part que le terrain est en copropriété indivise.

En septembre 2017, les défendeurs décident d’aller faire la visite de la propriété. Le soir même, à la suite d’une courte négociation, les parties s’entendent sur un prix et décident de compléter dès cet instant les formulaires de DuProprio, notamment la promesse d’achat. Pour ce faire, les défendeurs examinent certains documents fournis par la demanderesse, notamment la description technique et le certificat de localisation. Ne comprenant pas tout à fait l’information qui s’y retrouve, les défendeurs précisent à la demanderesse qu’ils recherchent une propriété dont ils seraient les propriétaires exclusifs, tant au niveau de la résidence que du terrain sur lequel elle est située. La demanderesse a rassuré ces derniers en affirmant qu’elle était la propriétaire exclusive de la résidence et du terrain.

Par la suite, les défendeurs mandatent un notaire afin de préparer la documentation nécessaire afin de compléter l’acte de vente devant être signé en janvier 2018. Le notaire, suite à ses recherches auprès de l’index des immeubles, s’aperçoit que le terrain de la demanderesse est en copropriété indivise et communique alors cette information aux défendeurs.

Après avoir pris connaissance de tous les problèmes potentiels auxquels peut être confronté un acheteur potentiel d’une copropriété indivise au niveau du terrain, les défendeurs consultent un avocat. Peu après, ils décident d’annuler l’offre d’achat et de ne plus acquérir la propriété de la demanderesse, celle-ci ne détenant pas, contrairement à ce qu’elle croyait, la propriété exclusive du terrain où est située sa maison. Par conséquent, l’acte de vente n’a jamais été signé par les parties.

La demanderesse remet en vente sa résidence et la vend en avril 2018 à un prix inférieur que le celui précédemment convenu avec les défendeurs.

En septembre 2018, la demanderesse intente un recours en dommages et intérêts à l’encontre des défendeurs en raison de la vente interrompue de sa résidence.

Analyse du Tribunal

Le Tribunal doit déterminer si le recours en dommages et intérêts de la demanderesse à l’encontre des défendeurs est bien fondé suite à la résolution de la promesse d’achat par ces derniers. En d’autres termes, est-ce que la résolution de la promesse d’achat par les défendeurs est valide?

D’une part, les défendeurs considèrent qu’ils ont été victimes d’une erreur portant tant sur l’objet de leur acquisition que sur un élément essentiel pour eux, soit la propriété exclusive de l’ensemble de l’immeuble. Ils prétendent également que la demanderesse a fait défaut de les renseigner adéquatement sur l’immeuble.

Pour sa part, la demanderesse soutient que les défendeurs ont fait défaut de se renseigner relativement à la propriété faisant l’objet de la promesse d’achat, tel qu’ils pouvaient le faire. Par conséquent, ils ont commis une erreur inexcusable faisant en sorte qu’ils ne peuvent plaider l’erreur de consentement à ce contrat.

Dans son analyse de l’obligation de se renseigner et de renseigner de chacune des parties, le Tribunal souligne que celles-ci ne possèdent aucune connaissance particulière en droit leur permettant de déterminer le statut exact de la propriété en litige3.

Il poursuit en mentionnant que même la demanderesse, en toute bonne foi, croyait,  au moment de la mise en vente de sa propriété, qu’elle en était propriétaire unique4.

Le Tribunal retient également que les défendeurs ont informé la demanderesse de leur désir d’être propriétaires uniques de l’immeuble. Cette dernière, croyant l’être elle-même, leur a mentionné qu’ils le seraient. S’ils avaient su qu’en réalité, elle ne l’était pas, ils n’auraient pas signé la promesse d’achat5.

La Cour poursuit en concluant que, même si les défendeurs avaient pu effectuer de plus amples démarches avant la signature de la promesse d’achat, cela ne constituait pas une erreur inexcusable, contrairement aux prétentions de la demanderesse. Cette dernière n’ayant pas rempli adéquatement son obligation de renseignement à l’égard des défendeurs,   l’erreur des défendeurs devient par conséquent excusable6.

Ainsi, ayant démontré qu’ils ont été induits en erreur tant sur l’objet de ce qu’ils voulaient acquérir que sur un élément essentiel de celui-ci, c’est-à-dire la propriété exclusive du bâtiment et du terrain, à l’avant et à l’arrière, les défendeurs étaient justifiés de ne pas signer l’acte de vente et de considérer la promesse d’achat comme étant nulle et résolue.

Rédigé avec la collaboration de Monsieur Alexandre Bellemare, stagiaire en droit.

 

1 https://apciq.ca/marche-immobilier/statistiques-mensuelles-detaillees/
2 Boisvert c. Leclerc, 2020 QCCQ 1110.
3 Id., par. 85.
4 Id., par. 102.
5 Id., par. 105
6 Id., par. 106.