Les dettes de jeux : un pari risqué pour les créanciers


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Dans quelles circonstances est-ce que les tribunaux peuvent reconnaître valable une dette de jeu entre deux personnes? Si les décisions sur cette question sont rares, en avril dernier, le plus haut tribunal du Québec a eu l’occasion de mettre en lumière les conditions devant être respectées pour qu’une dette issue d’un pari constitue une créance exécutoire. Dans cette affaire1, la Cour a rendu un jugement défavorable à l’encontre d’un créancier dont la somme gagnée au moyen de trois parties de « roche, papier, ciseau » avait fait l’objet d’une garantie par hypothèque.

FAITS SAILLANTS

En janvier 2011, les parties s’adonnent à un pari « quitte ou double » sur une série de trois manches de « roche, papier, ciseau ». Le montant de la mise initiale est de 258 500$, soit une somme que devait déjà l’intimé à l’appelant à la suite d’un pari antérieur. Il va s’en dire que l’intimé perd pour une seconde foi et, à l’issue du jeu, ce dernier doit désormais à l’appelant la somme de 517 000$.

En septembre 2011, les parties se rendent donc chez un notaire où l’intimé se reconnait endetté envers l’appelant pour la somme de 517 000$ et consent, en garantie du remboursement, à une hypothèque sur sa résidence. Toutefois, en septembre 2012, l’intimé cesse ses paiements, en réponse de quoi l’appelant signifie un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire en juin 2013 qui se conclut par une entente entre les parties.

Le 10 février 2015, l’intimé s’adresse à la Cour supérieure pour demander la radiation de l’hypothèque et l’annulation de l’entente entre les parties. Le 1er novembre 2017, l’honorable Chantal Châtelain, juge de la Cour supérieure, accueille en partie sa demande, annule l’hypothèque inscrite sur sa résidence en faveur de l’appelant ainsi que l’entente précédente entre les parties.

QUESTION EN LITIGE

Qu’est-ce qu’un contrat de jeu légal en droit commun? Est-ce qu’une partie de « roche, papier, ciseau » peut être la cause d’une obligation civile? Est-ce que le fait pour une partie de se reconnaître endettée et de consentir une garantie en paiement rend la créance autrement légitime?

PRÉTENTIONS DES APPELANTS

L’appelant soutient que la partie de « roche, papier, ciseau » respecte les conditions de validité du contrat de jeu prévu à l’article 2629 C.c.Q.2 Subsidiairement, l’appelant considère 1) que l’intimé a payé la dette en consentant l’hypothèque et qu’il ne peut pas demander répétition du paiement conformément à l’article 2630 C.c.Q. et 2) que la reconnaissance de dette par l’intimé a eu pour effet de nover la dette de jeu en obligation civile.

ANALYSE DU TRIBUNAL

La cour débute son analyse en identifiant les deux types de catégories de contrats de jeu et de pari de l’article 2629 C.c.Q.:

1)   les contrats expressément autorisés par la loi;

2)   les contrats qui (1) portent sur des exercices et des jeux licites qui tiennent à la seule adresse des parties ou à l’exercice de leur corps (2) à moins que la somme en jeu ne soit excessive.

S’appuyant sur les principes dégagés dans l’arrêt Ifergan c. Société des loteries du Québec3, la Cour qualifie d’ordre public l’article 2629 C.c.Q.. Par conséquent, les critères qui y sont énoncés se doivent d’être respectés, sans quoi le contrat de jeu est nul de nullité absolue.  En l’espèce, le pari appartient à la seconde catégorie et aucune des deux conditions de l’article 2629 al. 2 n’est respectée. D’abord, un jeu de « roche, papier, ciseau » ne tient pas à la seule adresse des parties, puisqu’il comporte une grande part de hasard. Ensuite, la Cour considère que la somme de 517 000 $ est excessive. Non seulement ce montant est objectivement élevé, mais il l’est d’autant plus considérant subjectivement qu’il s’agit de la plus haute mise jamais jouée par les parties et que l’avenir financier de l’inimitié était alors précaire.

Ce faisant, le tribunal en vient à la conclusion que le contrat de jeu intervenu entre les parties est nul de nullité absolue. Conséquemment, la Cour se doit également de rejeter les autres arguments invoqués par l’appelant.

Il est vrai qu’en vertu de l’article 2630 C.c.Q. le perdant d’un jeu et pari non expressément autorisé ne peut répéter, c’est-à-dire rembourser, les sommes payées. Toutefois, le problème de l’appelant réside dans le fait que consentir une hypothèque ne constitue pas un paiement. Le rôle de l’hypothèque est limité à garantir l’exécution de l’obligation. Or, en l’espèce, il n’y a pas d’obligation, puisque la Cour a déterminé que la cause, c’est-à-dire le contrat de jeu, n’était pas valable­.

L’argument de novation doit subir le même sort. La novation, qui consiste à substituer une première obligation par une seconde, permet de transformer une obligation non exécutoire, telle une obligation naturelle, en une obligation civile exécutoire au moyen d’un contrat4. Néanmoins, l’objet du contrat ne doit pas être prohibé par la loi ou contraire à l’ordre public5. Or, dans cet arrêt, la cour a établi que l’article 2629 C.c.Q. était d’ordre public. Le contrat de jeu enfreint donc celle-ci.

On retient à la lecture de cet arrêt qu’il faut traiter des dettes de jeux avec prudence. Afin de protéger les amateurs de jeux téméraires, le législateur a imposé des limitations strictes aux types de jeux et paris pouvant donner naissance à une obligation de nature civile. Les créanciers d’une dette de jeu doivent pour que celle-ci soit exécutoire s’assurer d’abord et avant tout que le jeu en question ne relève pas du hasard et que la mise n’est pas excessive. Rappelons également qu’il existe un grand nombre de dispositions législatives autres que celles contenues au Code civil qui encadrent les jeux et paris. On peut penser notamment à la Partie VII – Maison de désordre, jeux et pari du Code criminel6 qui fait la distinction entre le jeu de hasard, le jeu d’adresse et le jeu combinant le hasard et l’adresse7 et réglemente l’exercice de ceux-ci. Les amateurs de spéculations doivent ainsi prendre leur précaution avant de procéder.

Rédigé avec la collaboration de Madame Abegaëlle Duval, étudiante en droit. 

 

1 Primeau c. Hooper, 2020 QCCA 576.
2 Code civil du Québec, RLRQ, c. C-1991 (ci-après : C.c.Q.).
3  Ifergan c. Société des loteries du Québec, 2014 QCCA 1114, par. 5.
4 Art. 1660 C.c.Q.
5 Art. 1413 C.c.Q.
6 Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46.
7 R. c. Riesberry, [2015] 3 RCS 1167, 2015 CSC 65.