Compétence des autorités québécoises : obligations et préjudice


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Le droit international privé régit les relations et les poursuites entre les particuliers de différentes provinces ou de différents pays. Au Québec, le Code civil1 (ci-après « C.c.Q. ») prévoit différentes situations où les autorités québécoises ont compétence pour statuer sur des litiges opposant ces individus. Récemment, dans l’affaire Partner Reinsurance Company Ltd. c. Optimum Réassurance inc.2, la Cour d’appel a réitéré certains principes sur lesquels repose la compétence des tribunaux québécois. En effet, cette dernière a confirmé la décision rendue en Cour supérieure le 26 juillet 2019 en rappelant notamment que la présence d’un seul critère énoncé à l’article 3148(3°) C.c.Q. est suffisante pour conclure à la compétence des autorités québécoises.

FAITS SAILLANTS

L’appelante est domiciliée aux Bermudes et ne possède aucun établissement au Canada. Néanmoins, elle y exerce certaines activités. Le siège social de l’intimée, quant à lui, se situe à Montréal.

Depuis 2000, les parties sont liées par différents contrats de réassurance. En 2014, elles signent une entente dans laquelle se trouve une clause de non-concurrence à l’égard du marché canadien de la réassurance. Cette clause prévoit notamment que, si l’appelante songe à percer le marché canadien en tant que réassureur, elle doit en aviser l’intimée.

En septembre 2016, l’appelante avise verbalement l’intimée qu’elle désire entrer sur le marché canadien de la réassurance. Près d’un mois plus tard, elle acquiert une société de réassurance concurrente à l’intimée.

En avril 2017, les parties consentent, sous certaines conditions, à renoncer à la clause de non-concurrence. L’amendement, conclu à Montréal, prévoit notamment que l’intimée peut exercer des droits de reprise de la totalité ou d’une partie des portefeuilles rétrocédés jusqu’au 15 mars 2019. Cependant, les parties ne parviennent pas à s’entendre à ce sujet. Le 14 mars 2019, l’intimée transmet à l’appelante des avis d’exercice de ses droits de reprise. L’appelante, quant à elle, prétend que l’intimée n’a pas exercé ses droits de reprise valablement. Ainsi, elle considère que l’intimée a renoncé à ces droits et refuse de lui payer quoi que ce soit.

Le 22 mars 2019, l’intimée intente une action en jugement déclaratoire. Elle demande à la Cour supérieure de déclarer qu’elle a valablement exercé ses droits de reprise.

Un peu plus d’un mois plus tard, l’appelante dépose une demande en rejet fondée sur l’absence de compétence des tribunaux compétents.

Le 26 juillet 2019, la Cour supérieure rejette la demande de rejet fondée sur l’absence de compétence des tribunaux québécois au motif qu’il suffisait que l’intimée démontre qu’un préjudice a été subi au Québec ou que l’une des obligations du contrat devait y être exécutée, fardeau dont l’intimée est parvenue à se décharger.

QUESTION EN LITIGE

  1. Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que les autorités québécoises sont compétentes en vertu de l’article 3148 (3°) C.c.Q. au motif que des obligations contractuelles devaient être exécutées au Québec?
  2. Le juge a-t-il erré en concluant que les autorités québécoises sont compétentes en vertu de l’article 3148(3°) C.c.Q. au motif que l’intimée aurait subi un préjudice au Québec?

PRÉTENTIONS DES PARTIES

L’appelante, pour sa part, prétend que les tribunaux québécois ne sont pas compétents pour être saisis du litige en cause. Elle soutient que l’obligation de non-concurrence et celle d’informer l’intimée de son intention de pénétrer le marché canadien sont éteintes, puis que le contrat doit prévoir expressément que l’obligation doit être exécutée au Québec et non seulement la possibilité qu’elle y soit exécutée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Elle invoque également que le fait d’alléguer des pertes financières ne permet pas, à lui seul, de conclure à la compétence des autorités québécoises, surtout qu’on se trouve face à une demande de jugement déclaratoire et qu’aucun montant n’est réclamé. Par ailleurs, elle prétend que l’intimée n’a subi aucun préjudice au Québec, bien qu’un préjudice ait pu y être comptabilisé. Elle reproche au juge de première instance de s’être fondé sur le seul fait que l’amendement ait été conclu au Québec pour conclure au lieu du préjudice allégué par l’intimée.

L’intimée, quant à elle, prétend que les tribunaux québécois, en l’espèce, sont compétents. Elle soutient que l’obligation de l’appelante de ne pas lui faire concurrence au Canada inclut nécessairement le Québec, d’autant plus que les contrats de rétrocession conclus entre elles concernent des contrats d’assurance couvrant des assurés québécois. Par ailleurs, elle rappelle que l’amendement a été conclu à Montréal. Elle allègue également qu’elle subit un préjudice au Québec causé par le refus de l’appelante de reconnaître l’exercice de ses droits de reprise. À cet effet, elle mentionne être privée de plusieurs millions de dollars et avoir été contrainte de débourser des sommes considérables à la suite de ce refus.

ANALYSE DU TRIBUNAL

Dans un premier temps, l’honorable juge Marcotte rappelle l’article 3148 (3°) C.c.Q. qui prévoit que les autorités québécoises sont compétentes si une faute a été commise au Québec, si un préjudice y a été subi, si un fait dommageable s’y est produit ou si l’une des obligations découlant d’un contrat devait y être exécutée. Cette disposition doit être interprétée de manière large et libérale puisqu’elle vise à « assurer la présence d’un lien réel et substantiel entre l’action entreprise et le Québec »3. D’ailleurs, il ne s’agit pas de critères cumulatifs. La présence d’un seul critère énoncé à cet article suffit à conclure à la compétence des tribunaux québécois.

Pour ce qui est de l’exécution des obligations du contrat, le fait de démontrer que l’obligation a été exécutée au Québec ne suffit pas. Il faut démontrer que l’obligation en question devait y être exécutée4. En l’espèce, l’argument invoqué par l’appelante voulant que les obligations en litige soient éteintes ne peut être retenu.

D’abord, la renonciation à la clause de non-concurrence « était conditionnelle à ce que l’appelante fasse preuve de bonne foi et de diligence, et qu’elle mette les efforts requis pour permettre l’exercice des droits de reprise »5. Ainsi, comme l’appelante a manqué à cette obligation, la renonciation à la clause de non-concurrence est nulle et l’obligation de non-concurrence subsiste. Par ailleurs, la Cour mentionne que même si l’obligation était éteinte, cela ne l’empêcherait pas de s’en saisir6. Comme l’obligation de non-concurrence au Canada couvre implicitement le Québec, il est possible d’en déduire que cette obligation devait être exécutée en territoire québécois.

Ensuite, la Cour confirme que l’obligation d’information de l’appelante devait également être exécutée au Québec7. Elle cite un passage de l’arrêt Air Canada8 dans lequel la Cour suprême du Canada établit le principe selon lequel le lieu de la faute d’omission est déterminé selon l’endroit où l’obligation devait être exécutée. Bien que l’appelante ait avisé l’intimée de façon verbale quant à ses intentions, elle n’a pas expédié d’avis écrit au siège social de l’intimée situé à Montréal. Par conséquent, la Cour répond à la première question en litige par la négative, le juge de première instance étant fondé de conclure que les autorités québécoises sont compétentes en vertu de l’article 3148(3°) C.c.Q. au motif que des obligations contractuelles devaient être exécutées au Québec.

Dans un deuxième temps, l’honorable juge Marcotte rappelle qu’un préjudice peut avoir été subi au Québec bien qu’aucune faute n’y ait été commise9. Il rejette, tout comme le juge de première instance, la prétention de l’appelante voulant que le préjudice économique ne puisse être invoqué par l’intimée dans le contexte d’une demande en jugement déclaratoire alors qu’aucune demande en dommages-intérêts n’y ait assortie10. Tel qu’établi dans l’arrêt Infineon11, l’article 3148(3°) C.c.Q s’applique en cas de préjudice purement économique « s’il a été pour l’essentiel subi au Québec plutôt que d’y être simplement comptabilisé »12.

De plus, la Cour reconnaît que le lieu de la conclusion de contrat ne peut, à lui seul, conférer la compétence des autorités québécoises13. Toutefois, l’appelante a tort de soutenir que le juge de première instance a appuyé sa conclusion sur ce seul et unique critère. Ce dernier a également tenu compte des préjudices subis par l’intimée, notamment du fait qu’elle se voit privée de l’encaissement des valeurs de reprise, que cela a entraîné certaines difficultés au niveau de la gestion de son entreprise et qu’elle a dû engager seule plusieurs dépenses additionnelles14. Tous ces préjudices ont non seulement été comptabilisés au Québec, mais y ont également été subis. Conséquemment, la Cour répond également à la deuxième question en litige par la négative, le juge de première instance étant fondé de conclure que les autorités québécoises sont compétentes en vertu de l’article 3148(3°) C.c.Q. au motif qu’un préjudice a été subi au Québec.

En conclusion, bien que la loi prévoit différents critères octroyant la compétence des tribunaux québécois, il est important de saisir les principes particuliers applicables à chacun d’entre eux, tant avant d’introduire un recours au Québec, qu’avant de déposer une demande en rejet fondée sur l’absence de compétence des autorités québécoises. À cet effet, un avocat peut vous aider, vous conseiller et vous représenter.

Rédigé avec la collaboration de Madame Éliane Gadbois, étudiante en droit.

 

1 Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. »), RLRQ, c. C-1991.
2 Partner Reinsurance Company Ltd. c. Optimum Réassurance inc., 2020 QCCA 490.
3 Id., par.47; Spar Aerospace ltée c. American Mobile Satellite Corp., 2002 CSC 78.
4 Préc., note 2, par. 48.
5 Id., par. 52.
6 Id., par. 55.
7 Id., par. 59.
8 Air Canada c. McDonnell Douglas Corp., [1989] 1 RCS 1554.
9 Id., par. 68.
10 Id., par. 24, 88 et 90.
11 Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2001 QCCA 2116.
12 Préc., note 2, par. 78.
13 Id., par. 81.
14 Id., par. 84.