La Cour d’appel met fin à la controverse liée aux délais et préavis requis au Québec avant la nomination d’un séquestre en cas d’insolvabilité
Le Code civil du Québec1 (ci-après « C.c.Q. ») impose à un créancier garanti voulant exercer ses droits hypothécaires à l’encontre de son débiteur de lui accorder un délai pour lui permettre de corriger ses défauts avant d’entreprendre un quelconque recours à l’encontre des biens sujets à la garantie. Toutefois, il existait, jusqu’à tout récemment, une controverse jurisprudentielle relativement à l’obligation de respecter ces délais lorsque l’exercice des droits hypothécaires s’exécute par l’entremise de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité2 (ci-après « LFI »), plus précisément par la nomination d’un séquestre.
En effet, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité prévoit un délai de dix (10) jours3 alors que le Code civil du Québec prévoit des délais de vingt (20) à soixante (60) jours4, selon le cas, avant de pouvoir mettre à exécution ses garanties à l’encontre d’un débiteur.
Récemment, dans l’affaire Séquestre de Media5 Corporation5, la Cour d’appel a mis fin à cette controverse entourant les délais et préavis requis afin qu’une demande de nomination de séquestre en cas d’insolvabilité du débiteur soit accueillie au Québec. En effet, cette dernière a infirmé la décision rendue en Cour supérieure le 16 décembre 2019 en concluant qu’une nomination d’un séquestre en vertu de la LFI était possible au Québec si les préavis et délais prévus au C.c.Q. en matière de droits hypothécaires étaient également respectés.
FAITS SAILLANTS ET PRÉTENTIONS DE L’APPELANTE
En mars 2017, l’appelante octroie divers prêts aux intimées. Ces prêts sont garantis par diverses sûretés, entre autres par des hypothèques de premier rang grevant l’ensemble des biens des intimées et par une sûreté conforme à l’art.427 de la Loi sur les banques6.
Depuis l’automne 2017, les intimées font défaut à plusieurs reprises de respecter leurs conventions de prêts. Par conséquent, la Laurentienne leur fait parvenir de nombreux avis de défaut.
Bien que les intimées se soient engagées, le 9 juillet 2019, à rembourser tous les arrérages dus à la Laurentienne, aucune somme ne lui a été versée.
L’appelante considère que les intimées sont insolvables étant donné leurs défauts répétés et compte tenu du fait que les montants dus aux fournisseurs des intimées ne cessent d’accroître.
Ainsi, le 18 novembre 2019, cette dernière s’adresse à la Cour supérieure afin qu’un séquestre soit nommé conformément à l’art.243(1) LFI. L’appelante cherche à procéder à la vente des entreprises des intimées en continuité d’affaires par la mise en oeuvre d’un processus de sollicitation d’offres. Elle prétend qu’il s’agirait de la solution la plus adéquate puisque la valeur des entreprises des intimées en continuité d’affaires est bien plus élevée que la valeur de liquidation de leurs actifs.
Le 25 novembre 2019, la Cour supérieure reporte l’audition, car elle estime que l’appelante doit plutôt présenter une demande de nomination d’un séquestre intérimaire en vertu de l’art.47 LFI puisque, selon le juge de première instance, l’art.243(1) LFI ne créerait aucun recours au Québec. L’appelante modifie donc ses procédures afin de se conformer aux recommandations du juge.
Le 16 décembre 2019, la demande de l’appelante est rejetée. La Cour supérieure interprète l’arrêt Lemare Lake7 rendu par la Cour suprême du Canada en 2015 comme n’autorisant pas la nomination d’un séquestre, au Québec, sur la base de l’art.243(1) LFI. De plus, il rejette la demande de nomination d’un séquestre intérimaire au motif que cela irait à l’encontre du caractère conservatoire de sa fonction.
QUESTION EN LITIGE
Est-ce possible, pour un créancier hypothécaire, de déposer une demande de nomination d’un séquestre en vertu de l’art.243(1) LFI au Québec dans le cas où le débiteur est insolvable?
Dans l’affirmative, les préavis et délais afférents aux droits hypothécaires et prévus du Code civil du Québec doivent-ils être respectés?
ANALYSE DU TRIBUNAL
D’abord, la nomination d’un séquestre en vertu de l’art.243(1) LFI est utile lorsque le débiteur est insolvable, que la garantie hypothécaire porte sur la totalité ou la quasi-totalité du stock, des comptes recevables ou des autres biens acquis ou utilisés par ce débiteur et que ces biens sont utilisés dans le cadre des affaires dudit débiteur. Néanmoins, certaines règles de procédure et de fond, tant provinciales que fédérales, s’appliquent et c’est à ce sujet qu’une controverse perdurait au Québec ,et ce, même après que l’arrêt Lemare Lake8 ait été rendu.
Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a reconnu que les règles de procédure et de fond prévues dans la Saskatchewan Farm Security Act9, loi provinciale, étaient applicables et devaient être satisfaites dans le cadre d’une demande de nomination d’un séquestre en vertu de l’art.243(1) LFI. Bien que la loi provinciale de la Saskatchewan, tout comme la loi fédérale, traite de la nomination d’un séquestre, la Cour en vient à la conclusion que ces lois sont compatibles puisqu’il est possible de se conformer aux deux (2) avant qu’une demande de nomination de séquestre soit déposée.
Toutefois, contrairement à la loi provinciale de la Saskatchewan, le droit civil québécois ne prévoit pas expressément le recours à la nomination d’un séquestre. Ainsi, comme le C.c.Q. ne prévoit que les quatre (4) droits hypothécaires suivants10 : vente sous contrôle de justice, prise de possession à des fins d’administration, prise de paiement ou vente par le créancier, il faut d’abord déterminer si la nomination d’un séquestre est possible au Québec et, dans l’affirmative, à quelles conditions.
À cet effet, deux (2) courants jurisprudentiels s’opposent11. Selon certaines juges, les dispositions du Code civil du Québec s’appliquent même lorsqu’un débiteur est insolvable. Toutefois, il existe une controverse au sein de ce même courant. Certains fervents de cette école soutiennent que seuls les recours prévus au C.c.Q. sont possibles, de sorte que l’art.243(1) LFI ne trouve tout simplement pas application au Québec alors que d’autres prétendent que cette disposition fédérale est applicable au Québec, à condition que les dispositions du C.c.Q. soient également respectées. Les juges prenant part au deuxième courant, quant à eux, soutiennent que l’art.243(1) LFI s’applique au Québec, et ce, indépendamment du C.c.Q., l’art.243(1) LFI et le Code civil du Québec étant deux (2) régimes complètement distincts.
La Cour d’appel répond à la première question par l’affirmative12. Lorsque le débiteur est insolvable, le créancier hypothécaire peut recourir aux droits hypothécaires prévus dans le Code civil du Québec, mais il peut également déposer une demande de nomination d’un séquestre en vertu de l’art.243(1) LFI. En effet, le gouvernement fédéral a compétence en matière de faillite et d’insolvabilité, ce qui lui permet de prévoir un recours additionnel non prévu par les provinces13.
De plus, bien que l’objet de l’art.243(1) LFI soit de permettre la nomination d’un séquestre national, de sorte que le créancier hypothécaire n’ait pas à demander la nomination d’un séquestre dans les différentes provinces concernées, il est possible de nommer un séquestre en vertu de la disposition en litige même si les actifs du débiteur ne se trouvent que dans une seule province14. Tel était le cas dans l’arrêt Lemare Lake15.
Finalement, la Cour d’appel conclut qu’il n’y a aucune incompatibilité entre la loi provinciale québécoise et la loi fédérale, de sorte que « les dispositions du Code civil du Québec portant sur les droits hypothécaires doivent cohabiter avec celles de la LFI portant sur le séquestre, et vice versa »16. Ainsi, avant de demander la nomination d’un séquestre en vertu de l’art.243(1) LFI, le créancier hypothécaire doit respecter le délai et préavis prévus au C.c.Q., soit généralement vingt (20) jours dans le cas où le bien sur lequel il désire exercer ses droits est un bien meuble ou soixante (60) jours s’il est question d’un bien immeuble17.
En conclusion, le recours à l’art.243 LFI peut s’avérer avantageux tant pour le créancier hypothécaire que pour son débiteur insolvable puisqu’il permet la vente des actifs de ce dernier sous contrôle de justice comme une entreprise en exploitation active au lieu de devoir vendre lesdits actifs séparément. Par l’affaire Séquestre de Media5 Corporation18, la Cour d’appel en vient à la conclusion que ce recours est possible au Québec. Toutefois, les délais et préavis prévus par le Code civil du Québec doivent être respectés bien que la LFI prévoit un délai de préavis plus court. Néanmoins, sachez, qu’en cas d’urgence, il est possible, avec l’autorisation du Tribunal, de passer outre ces délais19 ou de nommer un séquestre intérimaire20.
Rédigé avec la collaboration de Madame Éliane Gadbois, étudiante en droit.
1 Code civil du Québec, RLRQ, c. C-1991 (ci-après « C.c.Q. »).
2 Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (ci-après « LFI »).
3 Art.243-244 LFI.
4 Art.2858 al.2 C.c.Q.
5 Séquestre de Media5 Corporation, 2020 QCCA 943.
6 Loi sur les banques, L.C. 1991, ch.46.
7 Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd., 2015 CSC 53.
8 Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd., préc., note 7.
9 Saskatchewan Farm Security Act, S.S., 1988-89, C. S-17.1.
10 Art.2748 C.c.Q.
11 Séquestre de Media5 Corporation, préc., note 5, par.32 et suivants.
12 Séquestre de Media5 Corporation, préc., note 5, par.71-72.
13 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.U.), art.91(21).
14 Id., par.75.
15 Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd., préc., note 7.
16 Séquestre de Media5 Corporation, préc., note 5, par.78 et suivants.
17 Art.2758 al.2 C.c.Q.
18 Séquestre de Media5 Corporation, préc., note 5.
19 Art.2767 C.c.Q.
20 Art.47 et 47.1 LFI.