La Cour supérieure conclut à la validité d’une entente verbale relativement à l’actionnariat d’une entreprise
La convention entre actionnaires est un instrument non négligeable en droit commercial et permet la résolution interne en cas de conflit entre les âmes dirigeantes d’une société1. Sans elle, la structure interne de l’entreprise est laissée incomplète et il devient plus ardu de régler les conflits de façon indépendante au système judiciaire2.
Elle devient d’autant plus importante quand il y a un déséquilibre entre les actionnaires, en cas de conflit, et bien que les tribunaux tentent, le moins possible, de s’immiscer dans les affaires internes des entreprises, il peut arriver qu’ils soient obligés d’agir, et ce, qu’il existe ou non une telle convention. En effet, l’influence des actionnaires minoritaires est souvent fortement restreinte comparativement à celle que peuvent exercer les actionnaires dits majoritaires. Ainsi, bien que les tribunaux souhaitent intervenir le moins possible à l’interne, des droits particuliers protégeant les actionnaires minoritaires obligent parfois cette ingérence. Effectivement, il existe des recours afin de pallier aux possibles injustices résultant de ces déséquilibres3. Plus particulièrement, en vertu de l’art. 450 de la Loi sur les sociétés par actions (ci-après « LSA »)4, un demandeur peut s’adresser à la Cour supérieure du Québec afin d’obtenir une ordonnance visant à redresser une situation lorsqu’en raison d’un comportement, de l’exercice de ses activités, de la conduite de ses affaires ou bien par la façon dont ses administrateurs exercent leurs pouvoirs, une société est jugée avoir agi abusivement ou injustement.
Dans une décision récente, la Cour supérieure se penche sur ce recours et plus précisément sur un tel recours dans le cas d’une entente verbale d’actionnariat5. Le tribunal conclut que le refus de respecter l’entente verbale d’actionnariat était injuste et oppressif au sens de la LSA et qu’un recours en redressement était bel et bien de mise.
Faits
La Cour supérieure est saisie d’une demande en redressement adressée par M. Goupil ( ci-après le « Demandeur »). Ce recours est intenté sur des allégations soutenant que M. Besnard et M. Hétu ( ci-après les « Défendeurs ») auraient renié leur engagement envers le demandeur, lequel prévoyait que ce dernier recevrait 15% du capital-actions de 9323-7063 Québec inc. ( ci-après la « Société défenderesse »)6.
Depuis 2015, les parties ont travaillé en partenariat sur plusieurs projets, souvent ayant trait à la restauration. En 2017, les trois hommes sont invités à présenter un projet pour le réaménagement d’une foire alimentaire qui sera exploitée par la société défenderesse7. Il est admis que le Demandeur a joué un rôle central dans ce projet, lequel rôle n’a pas été rémunéré sous prétexte qu’il allait devenir propriétaire de 15% du capital-actions de la société défenderesse8.
En avril 2018, les trois partenaires mettent fin à leur association quand le Demandeur leur soumet sa volonté de poursuivre ses projets en solo et d’abandonner ses activités en partenariat avec les Défendeurs9. Suite à cette annonce, les Défendeurs nient tout engagement envers Goupil quant au projet de foire alimentaire10.
Prétentions des Défendeurs
Les Défendeurs nient toute entente relative à la société défenderesse avec le Demandeur. Ils nient donc lui devoir 15% du capital-actions de la société défenderesse. Les Défendeurs soutiennent également que le témoignage de Goupil concernant leur entente verbale d’actionnariat est irrecevable selon les règles du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. »), plus précisément selon l’art. 2862 du C.c.Q.11 Finalement, ils rejettent la prétention selon laquelle ils auraient agi de façon abusive ou injuste envers le Demandeur12.
Questions en litige
La première question vise à savoir s’il y a bien eu une entente entre les parties concernant l’attribution de 15% du capital-actions de la société défenderesse au Demandeur. Cette question sous-entend celle de savoir si le témoignage du Demandeur relativement à cette question est recevable conformément aux règles de preuve comprises dans le C.c.Q.13.
La deuxième question cible pour sa part le recours en redressement lui-même sur le fondement des articles 439 et 450 de la LSA. Plus précisément, on cherche à savoir si le Demandeur peut bénéficier de ce recours en tant qu’actionnaire minoritaire14.
Analyse du tribunal
Quant à la question de la recevabilité de l’entente verbale entre les actionnaires, le tribunal doit se pencher sur les règles de preuve. Les Défendeurs, s’appuyant sur l’art. 2862 du C.c.Q.15 allègue que le litige étant supérieur à 1500$, on ne peut admettre l’entente verbale en preuve, étant un témoignage. Le tribunal réfute cette allégation sur deux bases. Premièrement, il y a eu dépôt en preuve, par les Défendeurs, de l’interrogatoire au préalable complet du Demandeur, lequel comprend des propos sur l’entente verbale. Deuxièmement, l’art. 2862 du C.c.Q concernant cette règle comprend une exception non-négligeable, celle du commencement de preuve.
En effet, le deuxième alinéa de l’article 2862 du C.c.Q. stipule qu’on peut prouver par témoignage tout acte juridique dès qu’il y a commencement de preuve16. Le commencement de preuve peut résulter d’un aveu ou d’un écrit émanant de la partie adverse, de son témoignage ou de la présentation d’un élément matériel, lorsqu’un tel moyen rend vraisemblable le fait allégué17.
En fait, il y a deux composantes pour établir la présence d’un commencement de preuve. Il faut (1) qu’il repose sur un élément de preuve émanant soit d’une partie à qui on veut l’opposer ou bien sur la présentation d’un élément matériel et (2) il doit, dans l’un ou l’autre des cas, rendre vraisemblable l’acte juridique allégué18.
Ici, plusieurs éléments ont fait en sorte que le tribunal a déclaré le témoignage du Demandeur admissible en preuve19, notamment les aveux des Défendeurs relativement à l’importance du rôle de du Demandeur dans le projet20 ainsi que les courriels confirmant ce rôle, lesquels n’ont pas été réfutés par les Défendeurs21.
Le tribunal ajoute également que le fait que les parties, de façon générale, ne se soucient pas de consigner leurs ententes par écrit, préférant opérer sous la foi d’un gentlemen’s agreement, milite en faveur de la présence d’une entente verbale22.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour reconnaît l’existence de l’entente entre les parties prévoyant l’attribution de 15% du capital-actions de la société défenderesse au Demandeur23.
Ayant reconnu l’existence de ladite entente, le tribunal devait se pencher sur le remède qui était demandé par le Demandeur en vertu de la LSA, soit le recours en redressement. Ce recours s’effectue en deux étapes. Le tribunal doit donc déterminer si (1) une attente raisonnable du plaignant a été frustrée et (2) si le comportement constitue un abus ou un préjudice infligé de façon injuste24.
En l’espèce, la Cour conclut qu’il est question d’une situation pouvant porter sur un recours en redressement puisque le Demandeur était bel et bien un plaignant en vertu de la LSA et que ses attentes raisonnables ont effectivement été frustrées25. On répond à la deuxième étape de l’examen en confirmant qu’il n’y a aucun doute que le refus des Défendeurs de respecter leur engagement et d’émettre des actions de la Société défenderesse au Demandeur constitue un abus qui porte préjudice à ce dernier26. En conséquence, le tribunal ordonne aux Défendeurs de procéder à l’achat du capital-actions du Demandeur27.
Conclusion
Cette décision nous rappelle qu’une entente verbale peut s’avérer valide et exécutoire, mais qu’il demeure beaucoup plus difficile pour un justiciable de démontrer l’existence d’une telle entente devant un tribunal que de démontrer l’existence d’une entente écrite. En effet, bien que le commun gentlemen’s agreement peut sembler l’avenue la plus simple pour démarrer un projet d’entreprise, il est toujours préférable de pouvoir se référer à un écrit lorsque, comme dans le cas en l’espèce, on prétend avoir droit à une partie du capital-actions de l’entreprise. Tel que mentionné en lever de rideau, la rédaction d’une convention entre actionnaires est d’une importance capitale en droit commercial.Celle-ci détermine, non seulement les parts de chacun des actionnaires signataires, mais aussi la marche à suivre si un litige survenait entre ceux-ci. Dans le cas qui nous concerne, il y a fort à parier que le Demandeur n’aurait pas eu recours au tribunal, s’il avait bénéficié d’une telle convention. Fait à noter, les Défendeurs ont soumis une demande pour permission d’en appeler de cette décision, laquelle a été accueillie par la Cour d’appel qui se penchera sur le sujet28.
Rédigé avec la collaboration de Madame Marianne Lapointe, étudiante en droit.
1 Pour en savoir plus, consulter notre expertise sur le sujet.
2 Paul MARTEL, « Les conventions entre actionnaires », dans École du Barreau du Québec, Entreprises et sociétés, vol. 10, Collection de droit 2020-2021, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, p. 199 et suiv.
3 Paul MARTEL, « La protection des actionnaires minoritaires », dans École du Barreau du Québec, Entreprises et sociétés, vol. 10, Collection de droit 2020-2021, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, p. 241 et suiv.
4 Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S-31.1, art. 450.
5 Goupil c. 9323-7063 Québec inc., 2020 QCCS 3415.
6 Id., par. 1.
7 Id., par. 5.
8 Id., par. 9.
9 Id., par. 10.
10 Id.
11 Code civil du Québec, RLRQ, c. C-1991, art. 2862 (ci-après « C.c.Q. »).
12 Goupil c. 9323-7063 Québec inc., préc. note 5, par. 12.
13 Id., par. 15 et s.
14 Id., par. 54 et s.
15 Art. 2862 C.c.Q.
16 Art. 2862 al. 2 C.c.Q.
17 Art. 2865 C.c.Q.
18 Goupil c. 9323-7063 Québec inc., préc. note 5, par. 22; Art. 2862 et 2865 C.c.Q.; Ferme Springlea s.e.n.c. c. Gauvin, 2016 QCCA 1910, par. 23.
19 Goupil c. 9323-7063 Québec inc., préc. note 5, par. 24.
20 Id., par. 25.
21 Id., par. 32 à 35.
22 Id., par. 37.
23 Id., par. 53.
24 Id., par. 55-56; BCE inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69, par. 80.
25 Goupil c. 9323-7063 Québec inc., préc. note 5, par. 58; Art. 439 LSA.
26 Goupil c. 9323-7063 Québec inc., préc. note 5, par. 60.
27 Id., par. 61.
28 Besnard c. 9269-5311 Québec inc., 2020 QCCA 1462.