Jugement en passation de titre: le transfert de propriété est-il rétroactif?
Une demande en passation de titre constitue un recours traditionnel du droit visant à faire respecter l’exécution d’une promesse d’achat de propriété1. Ce recours devient particulièrement important lorsqu’une partie refuse de signer un contrat de vente, et ce, malgré l’existence d’une option d’achat signée et acceptée par les parties. Cette action en justice permet alors au créancier d’en forcer l’exécution.
Par contre, une question se pose: est-ce qu’un jugement ordonnant une passation de titre a pour a effet de transférer le droit de propriété de manière rétroactive ou crée-t-il plutôt un droit personnel à la conclusion de la vente et ainsi, le transfert de la propriété n’aura lieu qu’au moment où les deux parties auront signé l’acte ou, si la partie défenderesse ne s’exécute pas, à l’expiration du délai donné par la Cour pour la signature.
Dans l’affaire Produits Suncor Énergie c. Finance Wentworth (Québec) inc., la Cour d’appel répond à cette question et réitère les critères à appliquer dans de telles situations2. Dans cette décision, Produits Suncor Énergie S.E.N.C. (ci-après désignée «Suncor») en appelle du jugement rendu par la Cour supérieure le 4 avril 20193 qui accueille la demande par Finance Wentworth (Québec) inc. ci-après désignée « Wentworth ») en jugement déclaratoire et rejette la demande reconventionnelle.
FAITS SAILLANTS
Un jugement préalable rendu le 18 décembre 2012 par l’honorable Steve J. Reimnitz (ci-après désigné « Juge Reimnitz »), de la Cour supérieure, a accueilli partiellement l’action en passation de titre de Suncor.
Le Juge Reimnitz conclu que Wentworth avait abusé de ses droits contractuels en tentant de priver Suncor de son droit de devenir propriétaire de l’immeuble commercial au prix de 1,5 millions de dollars en vertu d’une option d’achat, le tout conformément à un bail existant entre les parties.
Le jugement ordonne à Wentworth de signer l’acte de vente daté du 8 février 2012, déjà signé à par Suncor, et de passer titre. La Cour d’appel du Québec a confirmé le jugement en rejetant l’appel le 4 juin 2014.
Les parties ne s’entendent pas quant aux ajustements à être effectués au moment de la signature de l’acte de vente et Wentworth dépose une demande introductive d’instance en juillet 2014 afin d’obtenir un jugement déclaratoire et ainsi mettre un terme à l’impasse.
PRÉTENTION DES PARTIES
Wentworth soutient que les ajustements doivent être effectués au moment de la signature de l’acte de vente et est d’avis que le jugement rendu par le Juge Reimnitz accueillant la demande en passation de titre, ne transfert pas rétroactivement le droit de propriété de l’immeuble commercial. De plus, Wentworth prétend que le droit créé par ce jugement n’est que personnel et le droit de propriété ne peut être octroyé au créancier qu’à partir de l’expiration du délai imparti accordé au débiteur afin de signer l’acte de vente ou au moment de sa signature par ce dernier.
Suncor pour sa part prétend que les ajustements devraient être effectués au moment où Wentworth a été initialement mis en demeure de passer titre, soit le 8 février 2012. Selon Suncor, le Juge Reimnitz, en accueillant la demande en passation de titre, a constaté l’existence d’un transfert antérieur du droit réel de façon rétroactive et qu’ainsi le jugement serait déclaratif de son droit de propriété sur l’immeuble. Suncor prétend donc en conséquence détenir le droit au remboursement des loyers versés depuis février 2012.
ANALYSE DE LA COUR SUPÉRIEURE
Le 4 avril 2019, la Cour supérieure accueille la demande de Wentworth de déclarer que le calcul des ajustements doit s’effectuer au moment de la date de signature de l’acte de vente. de l’opinion du juge, un jugement en passation de titre a pour effet de constater que le droit de propriété sera transféré par l’obligation imposée au débiteur de conclure la vente. Une telle décision n’opère pas rétroactivité du transfert de propriété et n’octroie pas un droit au remboursement des loyers versés depuis la date où le débiteur a été mis en demeure de passer titre. La distinction est expressément faite entre une réclamation de dommages-intérêts et l’action en passation de titre.
ANALYSE DE LA COUR D’APPEL
Suncor soulève à titre de moyen d’appel que Wentworth ne peut bénéficier de son abus de droit constaté dans le jugement du Juge Reimnitz de 2012 et qu’ainsi elle a rétroactivement droit aux remboursements des loyers payés à compter de février 2012 en tant que propriétaire de l’immeuble vu le caractère déclaratif de la décision.
La Cour d’appel effectue en premier lieu, un rappel du cadre d’analyse à appliquer au sujet de la caractérisation de l’effet juridique d’un jugement accueillant une passation de titre. Est-il déclaratif ou constitutif de droit? La décision Bettan c. 146207 Canada inc.4 de la Cour d’Appel, sous la plume de l’honorable juge Beaudoin répond à la question : il s’agit d’une question de faits et il est indispensable de rechercher l’ensemble des circonstances particulières de chaque situation, de même que d’examiner la conduite et l’intention des parties.
Le plus haut tribunal du Québec confirme le jugement de première instance par lequel juge a effectué une analyse appropriée et attentive des circonstances en l’espèce. En effet, en se fondant sur le jugement initial du 18 décembre 2012, les actes de procédure et les clauses pertinentes du bail, la Cour détermine que Suncor n’a pas établi que la Cour supérieure a erré en concluant que la décision du Juge Reimnitz est constitutive de droit et que le transfert de propriété n’est pas rétroactif.
CONCLUSION
La présence ou non d’un effet rétroactif dans le cadre d’un jugement en passation de titre est déterminée en fonction d’une analyse attentive de l’ensemble des circonstances de fait particulières et de l’intention des parties.
Il est donc prudent de réclamer , dans une demande en passation de titre, une conclusion à titre de dommages-intérêts aux fins de remboursement des loyers payés depuis l’envoi de la mise en demeure.
Rédigé avec l’aimable collaboration de Monsieur Étienne Langlois, étudiant en droit.
1 Code civil du Québec, RLRQ, c. C-1991, art.1397.
2 Produits Suncor Énergie c. Finance Wentworth (Québec) inc., 2021 QCCA 348.
3 Finance Wentworth (Québec) inc. c. Produits Suncor Énergie, 2019 QCCS 1230.
4 Bettan c. 146207 Canada inc., 1993 CanLII 3533 (QC CA).