La reconnaissance des contrats de mère porteuse au Québec
Le 6 juin dernier, le gouvernement sanctionnait le projet de loi n° 12 : Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et visant la protection des enfants nés à la suite d’une agression sexuelle et des personnes victimes de cette agression ainsi que les droits des mères porteuses et des enfants issus d’un projet de grossesse pour autrui1. Cette loi vise notamment à reconnaître et à encadrer les contrats de mère porteuse qui n’avaient auparavant aucune valeur juridique, étant considérés comme contraires à l’ordre public. La loi a pour mission d’établir un processus clair, prévisible et sécuritaire, visant à protéger à la fois les intérêts de l’enfant et ceux des mères porteuses impliquées dans de telles grossesses.
L’entrée en vigueur de la Loi sera progressive, la plupart des mesures en matière de grossesse pour autrui sont en vigueur depuis le 6 juin 2023, alors que certaines prendront effet en mars 2024 et d’autres en juin 2024.
Qu’en est-il pour les grossesses ayant débuté avant le 6 juin 2023?
Il nous apparait pertinent de revenir brièvement sur le cadre juridique antérieur à l’adoption de la Loi, puisque pour toute grossesse ayant débuté avant le 6 juin 2023, le droit et la procédure antérieurs demeurent applicables.
Auparavant, la gestation pour autrui reposait principalement sur l’article 541 du Code civil du Québec2, lequel stipulait que tout contrat par lequel une femme s’engageait à procréer ou porter un enfant pour le compte d’autrui était contraire à l’ordre public et donc nul de nullité absolue. Il était donc impossible d’obtenir l’exécution forcée d’une telle convention par un tribunal. Cela signifiait que, légalement, la mère porteuse, qu’elle ait signé ou non un contrat, avait le droit de garder l’enfant au terme de sa grossesse, tout comme elle pouvait décider d’avorter à tout moment de la grossesse3.
Ainsi, au Québec, l’adoption était la seule voie légale possible pour devenir parent dans le cadre d’un contrat de mère porteuse. Nous vous invitons d’ailleurs à lire notre publication sur ce sujet : Adoption : Les différentes étapes vers une famille. Cela impliquait pour le parent non déclaré à l’acte de naissance de déposer une requête en ordonnance de placement devant la Cour du Québec. Cette démarche, bien que s’agissant de la solution la moins « insatisfaisante »4 pour devenir parent grâce à la gestation pour autrui, comportait certains défis.
En effet, dès lors que la filiation était établie auprès de la mère porteuse, son consentement spécial à l’adoption constituait une condition essentielle et d’ordre public5 et devait absolument être donné après la naissance de l’enfant6. Par ce consentement spécial à l’adoption, la mère porteuse pouvait ainsi consentir à son propre « remplacement » par le conjoint ou la conjointe du parent figurant dans l’acte de naissance7. La mère porteuse pouvait également choisir de ne pas se déclarer à l’acte de naissance. À ce moment, seul le consentement spécial du conjoint déclaré à l’acte de naissance, conjoint de l’adoptant, demeurait nécessaire. Le tribunal statuait alors selon l’intérêt de l’enfant.
Enfin, l’ordonnance de placement ne pouvait être donnée qu’à l’expiration d’un délai de 30 jours suivant la date du consentement à l’adoption, ce délai correspondant à la période durant laquelle le consentement pouvait être rétracté8.
Changements en vigueur depuis le 6 juin 2023 : Reconnaissance de la gestation pour autrui
La nouvelle Loi, en plus de codifier certains principes et règles reconnus en jurisprudence, a mis à jour plusieurs règles du Code civil en matière de filiation, lesquelles sont entrées en vigueur le 6 juin dernier. Ces nouvelles mesures visent essentiellement à reconnaître et à encadrer toute grossesse pour autrui ayant débutée à compter de cette date.
Il est donc désormais permis, dans le cadre d’un projet parental, de recourir à la grossesse pour autrui afin d’avoir un enfant lorsque certaines modalités sont respectées. Ainsi, pour les grossesses débutées à partir du 6 juin 2023 et réalisées au Québec, les parents d’intention et la mère porteuse pourront soumettre une demande au tribunal afin d’établir la filiation à l’égard des parents d’intention.
Pour que la demande soit acceptée, les parties doivent avoir, avant le début de la grossesse, rédiger une convention de grossesse pour autrui. Il est également requis que les parents d’intention et la mère porteuse, laquelle doit être âgée d’au moins 21 ans, soient domiciliés au Québec depuis au moins un (1) an au moment de la conclusion du contrat. Le matériel reproductif doit également être conforme aux règles en la matière.
Pour que le lien de filiation avec l’enfant soit établi exclusivement à leur égard, les parents d’intention ont également l’obligation d’obtenir, après la naissance de l’enfant, le consentement de la mère porteuse. Désormais, seule la mère porteuse peut unilatéralement mettre fin au contrat de grossesse pour autrui, et ce, en tout temps avant la naissance de l’enfant. Les parents d’intention, quant à eux, ne peuvent plus se retirer du projet une fois le contrat signé.
Lorsque le projet de gestation pour autrui est réalisé à l’extérieur du Québec, la filiation sera établie dans l’État du domicile de la mère porteuse. Ainsi, pour que cette filiation soit reconnue au Québec, le jugement étranger établissant la filiation ou l’acte de naissance étranger doit être reconnu par un tribunal québécois. Le projet parental devra respecter les conditions générales précédemment mentionnées ainsi que certaines conditions spécifiques.
Changements en vigueur dès le 6 mars 2024 : Fin de l’intervention des tribunaux
Dès le 6 mars 2024, pour les grossesses débutées à partir de cette date, il ne sera plus nécessaire de recourir aux tribunaux afin d’établir la filiation d’un enfant issu d’un projet de gestation pour autrui. Les parties domiciliées au Québec pourront conclure une convention par acte notarié.
Les parties devront respecter les mesures en vigueur depuis 6 juin 2023 et suivre une séance d’information sur les implications psychosociales et sur les questions éthiques que le projet parental implique.
Changements en vigueur dès le 6 juin 2024 : Grossesses réalisées hors Québec
Enfin, à partir du 6 juin 2024, pour les grossesses réalisées à l’extérieur du Québec, un processus distinct et assorti de conditions préalables, qui s’ajouteront à celles déjà en vigueur, sera mis en place. Si lesdites conditions ne sont pas respectées, la filiation ne sera pas reconnue au Québec. Il sera donc primordial pour les parties de se renseigner adéquatement sur ces critères.
Les parents d’intention devront notamment suivre une séance d’information psychosociale offerte par un membre d’un ordre professionnel désigné. Le projet parental impliquant une grossesse pour autrui devra être réalisé dans une province, un territoire ou un pays désigné par le gouvernement du Québec. De plus, diverses autorisations du ministre de la Santé et des Services sociaux seront nécessaires.
La rémunération des mères porteuses demeure interdite
Malgré ces changements, une constante demeure : la rémunération du projet de grossesse pour autrui demeure prohibée. Ainsi, quiconque verse une rétribution à une femme porteuse ou à un intermédiaire commet une infraction criminelle et est passible d’une amende maximale de 500 000,00 $ et une peine d’emprisonnement maximale de dix (10) ans9. Quant à la mère porteuse, la Loi cherche à la protéger, de sorte que la femme qui reçoit une rétribution pour porter un enfant pour autrui ne sera pas visée par de telles sanctions.
Rappelons toutefois que, bien que la rétribution des femmes porteuses soit prohibée, le contrat de mère porteuse pourra prévoir le remboursement de certaines dépenses engagées pendant la grossesse et autorisées par règlement10, notamment les frais médicaux, les frais de déplacement, et les dépenses liées au bien-être de la mère porteuse.
Enfin, la nouvelle Loi a eu également pour effet de modifier la Loi sur l’assurance parentale, la Loi sur les normes du travail ainsi que la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail pour tenir compte, entre autres, de la grossesse pour autrui dans l’octroi des prestations et des congés.
Rédigé avec la collaboration de Madame Brittany Isabelle, étudiante en droit.
1 Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et visant la protection des enfants nés à la suite d’une agression sexuelle et des personnes victimes de cette agression ainsi que les droits des mères porteuses et des enfants issus d’un projet de grossesse pour autrui, projet de loi n° 12 (Sanctionné – 6 juin 2023), 1ère sess., 43e légis. (Qc) (ci-après la « Loi »).
2 Code civil du Québec, RLRQ, c. C -1991, art. 541 (ci-après « C.c.Q. »).
3 Adoption — 09185, 2009 QCCQ 8703, par. 22.
4 Adoption — 1445, 2014 QCCA 1162, par. 66.
5 Adoption — 1874, 2018 QCCQ 1694, par. 84.
6 Id., par. 94-109.
7 Harith Al-Dabbagh, « La réception au Québec des gestations pour autrui délocalisées : La filiation post-tourisme procréatif en mal d’institution », 2022 34-2 Canadian Journal of Family Law 1, 2022 CanLIIDocs 3246, https://canlii.ca/t/8vzpk;
8 Alain ROY, « Droit de l’adoption : adoption interne et internationale », Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, par. 81.
9 Loi sur la procréation assistée L.C. 2004, ch. 2.
10 Voir le Règlement sur le remboursement relatif à la procréation assistée.