Appel d’offres : la responsabilité face aux soumissionnaires


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L’appel d’offres constitue un processus qui vise à permettre à différents soumissionnaires de présenter une offre afin d’offrir leurs biens, leurs fournitures ou leurs services à l’égard d’un projet particulier.

Dans certaines circonstances, il apparait nécessaire d’analyser les termes d’un contrat pour en dégager l’interprétation à y donner. En matière contractuelle, le Code civil du Québec1 prévoit qu’un contrat s’interprète en faveur de celui qui a contracté l’obligation et contre celui qui l’a stipulée2. D’ailleurs, il existe certains groupes cibles, dont les consommateurs et les parties adhérant à un contrat, qui profitent d’une protection encore plus importante.

Qu’en est-il alors du processus d’appel d’offres? La manifestation de volonté de contracter par le biais d’une soumission est-elle signe d’une offre indéfectible?

FAITS

La Cour supérieure a eu l’occasion de se prononcer sur l’interprétation contractuelle à donner dans le cadre d’un appel d’offre dans l’affaire 9279-8776 Québec Inc. c. Office municipal d’habitation de Montréal3(ci-après nommé « OMHM »). Suivant un appel d’offres de l’OMHM, organisme à but non lucratif s’occupant de la gestion de logements sociaux,  relativement à un nouveau projet, la partie demanderesse, faisant affaire sous le nom Media Construction (ci-après nommé « Media ») et œuvrant dans la construction et la rénovation de bâtiments, dépose une soumission.

L’OMHM constate rapidement une erreur de calcul dans le montant total de ladite soumission représentant la somme de 20 000,00$. Cette erreur émane qu’une omission dans la transcription de certains montants entre le fichier ayant été utilisé pour la préparation de la soumission et le formulaire d’appel d’offres. Ayant été avisé de ce défaut, Media informe l’OMHM qu’il s’agit bel et bien d’une erreur, le montant de la soumission devant être ajusté à la hausse. . Malgré tout, l’OMHM n’ajuste pas la soumission de Media. Au contraire, l’OMHM avise Média que le contrat lui a été accordé et requiert que la preuve des cautionnements lui soit remise. Média signe le projet de lettre d’engagement en ajoutant la condition d’ajustement de prix, lequel projet n’est pas contresigné par l’OMHM. Dans les jours qui suivent, l’OMHM « met Media en demeure de ne pas débuter les travaux, la menaçant de saisir son cautionnement, et d’attribuer le contrat au deuxième plus bas soumissionnaire conforme »4. Face à ces menaces, Media est contrainte de signer la lettre d’engagement pour la soumission erronée.

QUESTIONS EN LITIGE

Un soumissionnaire peut-il réclamer le montant retranché de sa soumission initiale? Plus spécifiquement, un chargé d’appels d’offres peut-il imposer au soumissionnaire un montant découlant d’une erreur de calcul de ce dernier?

D’autre part, la Cour devait notamment décider si Media pouvait réclamer le solde contractuel non payé, ainsi que ses honoraires extrajudiciaires.

ANALYSE

Montant retranché de la soumission initiale

Le tribunal précise d’abord, que malgré l’erreur de calcul, la soumission déposée par Média constituait la soumission la plus basse pour ce projet5. Cela dit, il n’en demeure pas moins que lorsque la soumission ne contient que de simples erreurs mathématiques ne laissant planer aucun doute quant à leur rectification, l’organisme municipal doit les corriger6. La municipalité doit exercer sa discrétion dans de tels cas afin de respecter l’intégrité et l’équité du processus7. C’est d’autant plus vrai lorsque l’erreur de calcul fait en sorte de changer l’ordre des soumissionnaires8.

En ce sens, le Tribunal juge que l’OMHM était non seulement de mauvaise foi dans son refus de corriger la soumission, mais qu’elle a aussi commis un abus de droit. Un chargé d’appels d’offres ne peut forcer la signature d’un contrat à un prix avantageux ne correspondant pas à celui de la soumission totale. Dans ce cas-ci, « le consentement de Media a été vicié par la crainte de gestes qui allaient plus loin que l’exercice légitime des droits de l’OMHM »9. Elle est donc en droit de réclamer des dommages-intérêts10.

Solde contractuel impayé

Pour différentes raisons, le projet a connu des retards. Il demeurait ainsi un solde impayé à Média eu égard au contrat intervenu entre les parties.

D’abord, l’OMHM avance que Media devait fournir préalablement certains documents pour obtenir le paiement du solde. L’OMHM invoque alors l’exception d’inexécution pour justifier. Ses conditions d’application sont rappelées dans l’affaire Dahmé c. Dahmé11 :

  • Les parties doivent être liées par un contrat synallagmatique prévoyant une exécution simultanée des obligations;
  • Il doit y avoir inexécution de l’obligation réciproque de l’une des parties;
  • Il doit y avoir un équilibre entre les obligations;
  • La partie qui invoque l’exception d’inexécution doit être de bonne foi.

En l’espèce, les conditions d’application de l’exception d’inexécution ne sont pas remplies. La Cour retient l’absence de bonne foi de l’OMHM et le déséquilibre entre les prestations de remise des documents par Média et le paiement des sommes retenues par l’OMHM. Cet argument est donc rejeté par la Cour.

Deuxièmement, l’OMHM soulève qu’il devait y avoir des négociations préalables à un recours en justice. Effectivement, le contrat prévoit une rencontre entre un gestionnaire représentant l’OMHM et un dirigeant de l’entrepreneur.

Nonobstant, après désignation du dirigeant de l’entrepreneur, l’OMHM refuse catégoriquement le choix, tenant absolument à ce que l’actionnaire et administrateur de la compagnie soit présent. Or, au sens de la Loi sur les sociétés par actions12, un dirigeant désigne : « le président, le responsable de la direction, le responsable de l’exploitation, le responsable des finances et le secrétaire d’une société ou toute personne qui remplit une fonction similaire, ainsi que toute personne désignée comme tel par résolution du conseil d’administration ». Considérant cette définition, l’OMHM ne pouvait outrepasser le principe de liberté contractuelle en imposant sa propre interprétation du terme « dirigeant » après la formation du contrat.

Troisièmement, l’OMHM prétend pouvoir réclamer des pénalités pour retard dans les travaux en vertu de la clause pénale au contrat. En revanche, une clause de la sorte exige que celui qui s’en prévaut établisse l’existence de dommages, ce qui n’est pas le cas dans cette affaire. Malgré le fait que l’article 1623 al.1 C.c.Q. indique que le créancier n’a pas à prouver le préjudice qu’il a subi, l’arrêt Bacon St-Onge13 souligne qu’une clause pénale devient « inapplicable si la partie à qui on prétend l’opposer montre que le plaignant n’a subi aucun préjudice ». Également, « le fait que le créancier n’a pas subi de dommages est un motif suffisant pour déclarer la clause pénale abusive »14.

Honoraires d’avocat

Il est établi que « règle générale et sauf circonstances exceptionnelles, seul l’abus de droit d’ester en justice est susceptible d’être sanctionné par l’octroi de dommages »15. Les prétentions et l’attitude d’une partie avant même que des procédures en justice soient intentées ne peuvent pas éventuellement la condamner à payer les honoraires extrajudiciaires de la partie adverse. Dans le cas présent, le comportement de l’OMHM n’ouvre pas la porte à l’octroi de dommages.

CONCLUSION

Dans le jugement ci-présent, un entrepreneur soumet une offre de contracter à un organisme municipal. En dépit du bon sens, ce dernier accepte cette proposition fautive ne représentant visiblement pas les vouloirs de son cocontractant.

Il est vrai que le soumissionnaire ne bénéficie pas d’une protection digne de celle de l’adhérent ou du consommateur. Cependant, il reste que tout contrat nait d’un échange de consentement valide.

Somme toute, il arrive régulièrement que les travaux de construction comprennent des imprévus. Tenant compte du fait que ce qui n’est pas prévu au chantier peut générer toute sorte de différends entre les parties, il est judicieux de faire appel à un avocat pour vous conseiller en la matière.

1 Code civil du Québec , RLRQ, c. CCQ-1991 (ci-après « C.c.Q. »).
2 Art. 1432 C.c.Q.
3 9279-8776 Québec Inc. c. Office municipal d’habitation de Montréal, 2023 QCCS 739.
4 Id., par. 14.
5 Id., par. 39.
6 Id., par. 36.
7 Foundation Building West Inc. v. Vancouver (City of), 1995 CanLII 1311 (BC SC), par. 40.
8 9279-8776 Québec Inc. c. Office municipal d’habitation de Montréal, préc., note 3, 37.
9 Id., par. 50; Circonstances similaires pour la signature d’une quittance défavorable dans l’arrêt Hydro-Québec c. Construction Polaris Inc., 2019 QCCA 990, par. 29.
10 Art. 1407 C.c.Q.
11 Dahmé c. Dahmé, 2007 QCCA 851, par. 10.
12 Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S-31.1., art. 2.
13 Bacon St-Onge c. Conseil des Innus de Pessamit, 2021 QCCA 1765, par. 8.
14 Robitaille c. Gestion L. Jalbert Inc., 2007 QCCA 1052, par. 46.
15 Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée., 2002 CanLII 41120 (QCCA), par. 83.