La responsabilité de l’administrateur : Quelle place pour la bonne foi dans la conclusion d’une convention d’achat?
Le 9 janvier 2024, la Cour d’appel du Québec a eu l’opportunité de rendre une décision concernant la quantification des dommages-intérêts encourus suivant la conclusion d’une convention d’achat des actions de la compagnie Pop-Up par la compagnie Boomba1. Le tribunal d’appel devait alors décider si la Cour supérieure avait erré en octroyant un montant de 41 000$ à titre de dommages-intérêts à l’appelant, Donato Terrigno, plutôt que les 115 000$ qu’il réclamait de l’entreprise Boomba ainsi que de Benoit Brière, unique actionnaire et administrateur de cette dernière. À l’intérieur de cette publication, nous présenterons un court résumé des complexes faits de ce litige, pour ensuite faire ressortir les conclusions juridiques relatives à la responsabilité de l’administrateur ayant été émises par chacun des tribunaux.
Résumé des faits
Au cours de l’été 2018, Boomba, dont l’actionnaire unique est Benoit Brière, acquiert de Donato Terrigno la totalité des actions de Pop-Up. Cette dernière entreprise avait alors comme objectif l’exploitation de conteneurs industriels, particulièrement dans le cadre d’événements à grand déploiement. Conséquemment, M. Brière devient le seul administrateur, et donc dirigeant, de Pop-Up.
À l’intérieur de la convention d’achat, se trouvait une clause selon laquelle Boomba s’engageait à exercer les meilleurs efforts afin de libérer M. Terrigno du cautionnement d’un prêt effectué par une banque à l’égard de Pop-Up. Or, dès le mois suivant la transaction, Pop-Up, sous la direction de M. Brière, a complètement arrêté de rembourser le prêt en question, en plus de ne réaliser aucune tentative de libérer M. Terrigno de sa caution. Dans ces circonstances, et alors que Pop-Up est désormais insolvable, M. Terrigno est contraint de prendre entente avec la banque et de leur verser le montant de 115 000$, dans le but de rembourser le prêt établi entre celle-ci et Pop-Up.
Par conséquent, Donato Terrigno entreprend de poursuivre Boomba et Benoit Brière en dommages et intérêts, alléguant que ceux-ci ont laissé Pop-Up dépérir, en plus de ne poser aucun geste visant à libérer M. Terrigno de sa caution, contrevenant ainsi à la convention d’achat, ainsi qu’aux exigences de bonne foi prévues par le Code civil du Québec. De son côté, M. Brière prétend qu’au moment où Boomba a fait l’acquisition des actions de Pop-Up, la réelle situation financière de cette dernière lui était inconnue, l’empêchant ainsi de consentir de façon éclairée à la convention d’achats. Finalement, il ajoute que c’est Pop-Up qui s’est engagé, via la convention, à exercer les efforts afin de libérer M. Terrigno de sa caution, et non lui-même, Benoit Brière, en tant que simple actionnaire de Boomba.
Analyse de la Cour supérieure
Face à un état des faits encore plus complexe qu’en laisse paraitre le résumé présenté ci-haut, il était du devoir de la Cour supérieure du Québec de rendre une décision relativement aux allégations de chacune des parties2. Pour ce faire, les principales questions en litige sont énoncées ainsi :
[54] […] Boomba et Brière ont-ils commis une faute à l’endroit de Terrigno qui les oblige à [l’] indemniser […]?
[55] Quant à Brière, existe-t-il un lien de droit engageant la responsabilité extracontractuelle à titre d’administrateur unique de Pop-Up ou de Boomba ou autrement?3
Confronté à la preuve qui lui est présentée, le tribunal considère que Boomba et M. Brière ont commis des fautes à l’endroit de M. Terrigno, en plus d’agir de mauvaise foi, contrairement aux exigences du droit québécois4. En effet, Benoit Brière détenait toutes les informations nécessaires afin d’effectuer une vérification diligente en bonne et due forme, avant de décider d’acquérir les actions de Pop-Up. Au surplus, les faits laissent clairement transparaitre qu’il n’a jamais eu l’intention de continuer l’opération de cette entreprise, en plus d’omettre de poser quelconque action permettant de libérer M. Terrigno de sa caution. « [329] Si Terrigno avait connu les intentions véritables de Brière une fois les actions et le contrôle de Pop-Up acquis, il n’aurait vraisemblablement jamais adhéré et accepté de signer la Convention d’achat. »5 Par ses manœuvres Dolosives, Benoit Brière a ainsi engagé sa responsabilité extracontractuelle, en tant qu’administrateur6.
Au niveau de la quantification des dommages, bien qu’ayant tenu Boomba et M. Brière responsables des dommages causés à M. Terrigno, le Tribunal condamne ces derniers à verser la somme de 41 000$, plutôt que les 115 000$ demandés. Afin de parvenir à ce montant, la Cour se base sur le prix de vente des conteneurs, établi par Brière quelques années auparavant, pour la somme de 41 000$. Elle considère, en l’absence d’autre élément factuel tangible que, si M. Terrigno n’avait pas réalisé la vente de ses actions en 2018, il aurait alors pu, en tant qu’administrateur, disposer de ces conteneurs, soit les seuls actifs de Pop-Up, afin d’en récupérer la valeur marchande. Pop-Up aurait ainsi pu rembourser la somme de 41 000$ à la banque, montant qu’il n’aurait donc pas eu à verser en tant que caution.
En désaccord avec cette quantification des dommages qu’il juge nettement trop basse, Donato Terrigno se pourvoit devant la Cour d’appel.
Analyse de la Cour d’appel
Devant la Cour d’appel, Terrigno « soutient que le juge [de première instance] a erré en ne tenant pas compte de la valeur des actifs indiquée dans les états financiers « maison » de Pop-Up […], lesquels leur attribuent une valeur grandement supérieure »7. Les juges de cette instance rejettent sa demande, considérant que des états financiers n’ayant pas été vérifiés par un comptable externe n’ont pas une forte valeur probante devant un tribunal, en l’absence de preuve substantielle pour corroborer ceux-ci. Or, M. Terrigno ne fournit pas de telle preuve. Par ailleurs, les états financiers de 2018 ne faisaient mention que de la valeur des biens inscrite au livre de l’entreprise, et non de leur valeur marchande ou de liquidation, qui aurait permis une approximation plus juste de la valeur des actifs détenus en 2018.
Conséquemment, et ne se prononçant pas à nouveau sur la responsabilité de Boomba et de M. Brière, qui demeure inchangée, la Cour rejette l’appel de M. Terrigno, maintenant ainsi le montant de sa compensation établie à la hauteur de 41 000$.
Rédigé avec la collaboration de Mme Laury-Ann Bernier, LL.M.
1 Terrigno c. Boomba Holdings Inc., 2024 QCCA 14.
2 Banque de développement du Canada c. Terrigno, 2022 QCCS 2878.
3 Id., par. 54-55.
4 Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q.), art. 6, 7 et 1375.
5 Banque de développement du Canada c. Terrigno, préc., note 2, par. 329.
6 C.c.Q., art. 1457.
7 Terrigno c. Boomba Holdings Inc, préc., note 1, par. 7.