Clause suicide dans un contrat d’assurance vie


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Aussi regrettable que cela puisse paraître, il arrive parfois que l’issue d’un suicide soit traitée par les tribunaux québécois. En effet, c’est dans un tel contexte que la Cour supérieure et la Cour d’appel, dans l’affaire Bolduc, ont récemment dû se prononcer sur la nullité d’une clause suicide dans un contrat d’assurance vie.

Avant de se pencher sur cette récente affaire, il y a lieu de voir sommairement les principes applicables en matière de décès par suicide et de contrat d’assurance vie.

 

Le droit applicable

Le Code civil du Québec1 (ci-après « C.c.Q. ») prévoit :

2404. En matière d’assurance de personnes, l’assureur ne peut invoquer que les exclusions ou les clauses de réduction de la garantie qui sont clairement indiquées sous un titre approprié.

2441. L’assureur ne peut refuser de payer les sommes assurées en raison du suicide de l’assuré, à moins qu’il n’ait stipulé l’exclusion de garantie expresse pour ce cas. Même alors, la stipulation est sans effet si le suicide survient après deux ans d’assurance ininterrompue.

Toute modification du contrat portant augmentation du montant d’assurance est, en ce qui a trait au montant additionnel, sujette à la clause d’exclusion initialement stipulée pour une période de deux ans d’assurance ininterrompue s’appliquant à compter de la prise d’effet de l’augmentation.

Les faits

Les faits de l’affaire Bolduc se résument simplement.

Le 23 novembre 2006, feu François Roch (ci-après « Roch ») souscrit à une police d’assurance vie.

Le 23 octobre 2016, une nouvelle police d’assurance vie est émise. La police est émise pour un montant de 1 500 000 $. Cette police d’assurance comprend la clause suivante (ci-après la « clause suicide ») :

SUICIDE

« Si, pendant les deux (2) années qui suivent la date d’entrée en vigueur d’une garantie, l’assuré meurt de sa propre main ou de son propre fait, qu’il soit sain d’esprit ou non, l’obligation de la Compagnie est limitée au paiement d’une prestation de décès équivalente au remboursement des primes versées pour cette garantie, sans intérêt. »

Le 19 février 2018, malheureusement, Roch décède par suicide. Le suicide survient moins de seize (16) mois après l’émission de la dernière police d’assurance.

Suivant le refus d’indemniser de SSQ assurance (ci-après « SSQ »), les bénéficiaires de la police d’assurance entreprennent un recours judiciaire afin de recouvrer l’indemnité d’assurance.

Ils soutiennent que la clause suicide incorporée aux dispositions générales du contrat d’assurance serait invalide, nulle et inopposable à l’assuré puisqu’il s’agit d’une clause qui n’est pas expressément stipulée à la police d’assurance comme étant une clause d’exclusion.

De manière subsidiaire, ils prétendent notamment que la clause suicide est inapplicable aux faits de l’instance puisque le suicide de l’assuré est survenu après plus de deux ans d’assurance ininterrompue.

Pour sa part, SSQ prétend que la clause suicide est une clause d’exclusion de garantie et que Roch connaissait la portée de cette exclusion avant la conclusion du contrat.

Le jugement de première instance2

D’abord, en première instance, la Cour supérieure mentionne que la portée de l’article 2404 C.c.Q. est aussi importante pour les assurés que peut l’être la portée de l’article 2441 C.c.Q. pour les assureurs.

À la lecture d’un contrat d’assurance, un assuré doit pouvoir lire les titres et être justifié de penser que toutes les clauses d’exclusion sont concentrées sous un titre approprié et qu’il n’a pas à chercher ailleurs une autre clause d’exclusion.3

Dans ce dossier, la clause suicide se trouve dans les « Dispositions générales » et la clause ne parle pas expressément d’une exclusion à la garantie d’assurance, mais plutôt d’une limitation à l’indemnité payable. Même si le texte de la clause est clair et sans ambiguïté, aucun titre approprié ne permet de comprendre qu’il s’agit d’une exclusion. De plus, une section de la police d’assurance se concentre sur les exclusions et, pourtant, aucune mention relative au suicide n’y est incluse.

Le titre « SUICIDE » contrevient à l’article 2404 C.c.Q. puisqu’il ne permet pas au lecteur de la police d’assurance de repérer facilement l’existence d’une telle clause d’exclusion. Toutes les exclusions à la police d’assurance auraient dû se retrouver dans une seule et même section.

La Cour supérieure est d’avis que la clause suicide est nulle, de nullité relative, et sans effet.

SSQ est donc condamnée à payer les indemnités d’assurance, soit la somme de 1 500 000 $, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle.

Avant de conclure, la Cour supérieure souligne que la conclusion d’un nouveau contrat d’assurance emporte la computation d’un nouveau délai de deux ans pour l’application de la clause suicide. Ainsi, le délai de deux ans commençait en 2016 et non en 2006.

Le jugement de la Cour d’appel4

Beneva inc. (ci-après « Beneva »), en reprise d’instance de SSQ Assurances, porte le dossier en appel.

Selon Beneva, la Cour supérieure aurait dû analyser contextuellement la clause suicide afin de décider du caractère adéquat ou non du titre. De plus, Beneva soutient que le titre « SUICIDE » est fort évocateur pour tout assuré raisonnable.

À l’occasion de son jugement, la Cour d’appel dresse l’historique de la notion de suicide en droit des assurances. En effet, jusqu’en 1976, sous le Code civil du Bas-Canada, le suicide était considéré automatiquement comme étant une cause de nullité d’un contrat d’assurance vie. À cette époque, le suicide, selon le législateur, était un acte socialement répréhensible et contraire à l’ordre public. Fait anecdotique : à cette époque, le suicide, le décès par les mains de justice et le décès résultant d’un duel étaient tous les trois des causes de nullité du contrat d’assurance vie.

La Cour d’appel est d’avis que l’objectif de l’article 2404 C.c.Q. est d’indiquer clairement à l’assuré les exclusions, les réductions et les limitations à la police d’assurance. L’analyse du titre d’une clause doit se faire uniquement sur ce titre, et non sur la clause entière.

Dans la présente affaire, le titre « SUICIDE » au-dessus de la clause suicide ne rend pas évidents, aux yeux du lecteur, le résultat ou les conséquences de la clause, soit l’exclusion, les limites ou les restrictions à la couverture d’assurance. Le fait que la clause suicide se retrouve dans les dispositions générales plutôt que dans une section précise d’exclusions, laquelle existe quelques pages plus loin dans le contrat d’assurance, milite en faveur de l’invalidité en vertu de l’article 2404 C.c.Q. et du caractère inadéquat du titre de la clause.

Cela dit, les positions respectives de la Cour d’appel et de la Cour supérieure diffèrent sur un point. En effet, la Cour d’appel est d’avis que l’article 2404 C.c.Q. n’exige pas que toutes les clauses d’exclusions soient regroupées à un même endroit dans un contrat d’assurance vie. Pour la Cour d’appel, il n’y a pas lieu qu’elle dicte aux assureurs des règles de rédaction des polices d’assurance, notamment quant à la structure de celles‑ci. Cependant, elle estime que les exclusions relatives à une même garantie doivent être regroupées sous un même titre approprié afin qu’elles ne soient pas dispersées ou camouflées. Dans le cas qui nous occupe, l’absence d’uniformité entre les titres est frappante et accentue la difficulté de repérage de la clause suicide.

Or, cette distinction de la Cour d’appel ne change pas l’issue du litige. La Cour d’appel conclut que la clause suicide demeure nulle et inopposable aux bénéficiaires de la police d’assurance. L’appel est donc rejeté.

Conclusion

En terminant, si votre assureur refuse de vous indemniser et d’honorer la police d’assurance, il serait probablement judicieux d’en parler à votre avocat.

 

1Code civil du Québec, RLRQ., CCQ-1991, articles 2404 et 2441.
2Bolduc c. SSQ Assurance, 2023 QCCS 266.
3Lemay c. Assurance-vie Desjardins, [1988] R.J.Q 659 (C.A.).
4Beneva inc. c. Bolduc, 2024 QCCA 589.