Le prête-nom: stratégie fiscale dans le cadre d’une transaction immobilière?


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Le tribunal, face à une affaire prima facie de prête-nom, a dû décider si Elsie Monereau, demanderesse, était demeurée la véritable propriétaire d’un immeuble, malgré certaines transactions qui laissaient croire le contraire1 .

En effet, le 13 février dernier, la Cour du Québec s’est prononcée dans le cadre d’un litige fiscal opposant deux contribuables à l’Agence du revenu du Québec (ci-après « ARQ »). La cour devait alors analyser la validité de certains avis de cotisations émis aux noms d’Elsie Monereau (ci-après « Monereau) et Fred Marie Béliard (ci-après « Béliard »), les parties demanderesses. Dans le cadre de ce texte, nous étudierons brièvement cette affaire, ainsi que les conclusions juridiques qui en découlent.

Résumé des faits

Le 22 janvier 2015 et le 23 janvier 2017, l’ARQ a émis des avis de cotisation découlant de gains en capital et d’avantages imposables qui n’auraient pas été déclarés par Monereau et Béliard en 2011 et 2012. Ces gains et avantages découleraient, toujours selon l’ARQ, de transactions immobilières ayant eu lieu entre Béliard et la Société 9218-8242 Québec Inc. (ci-après « la Société ») en 2011, puis entre la Société et Monereau en 2012.

En 1996, alors que Monereau et son mari, Dominique Gattereau (ci-après « Gattereau ») étaient propriétaires d’un immeuble, soit leur résidence familiale, la Banque Royale du Canada a publié un préavis d’exercice de droit hypothécaire, en raison d’un retard dans leur paiement de l’hypothèque. Comme ils n’arrivent pas à trouver un autre prêteur pour faire face à leurs difficultés financières, Béliard, le beau-frère de Monereau, accepte d’acquérir, sur papiers, la résidence grâce à un prêt hypothécaire qu’il obtient lui-même auprès de la Banque de Montréal. Dans les faits, le couple et Béliard s’entendent pour que Monereau et Gattereau continuent de détenir la propriété, à condition que ces derniers fassent les paiements des taxes foncières, de l’hypothèque ainsi que de tout ce qui a trait à l’entretien de la maison.

Cette entente fonctionne sans anicroche jusqu’à ce que Monereau et Gattereau soient encore en retard dans les paiements hypothécaires, amenant la Banque de Montréal, en 2010, à refuser le renouvellement du prêt auprès de Béliard. Ils s’adressent alors à un prêteur privé qui accepte d’émettre le financement avec un terme d’un an non-renouvelable, à condition que la résidence soit détenue par une société par actions, dans le but de faciliter une saisie, le cas échéant. Conséquemment, Béliard, sa femme, ainsi que Monereau constituent la Société, dont ils détiennent ensemble l’entièreté du capital-actions. C’est cette même société qui acquiert l’immeuble, le 17 juin 2011.

Juste avant l’échéance du prêt, Monereau parvient à obtenir un prêt hypothécaire de la Compagnie de Fiducie AFG. Ce financement permet à la fois à la Société de rembourser entièrement le prêteur privé, en plus de vendre l’immeuble à Monereau. En 2012, pour la première fois depuis 1996, Monereau redevient ainsi propriétaire « en titre » de l’immeuble.

Décision de la Cour du Québec

Dans cette affaire, Monereau et Béliard contestent la validité des avis de cotisation émis par Revenu Québec, qui découleraient des gains en capital et d’avantages imposables résultants des transactions immobilières ayant eu lieu en 2011 et 2012. En effet, ils prétendent que, même si, « sur papier », Monereau n’était pas propriétaire de l’immeuble entre 1996 et 2012, qu’elle l’était toujours demeurée dans les faits, conformément à la volonté continue des demandeurs.

[65] La notion de prête-nom en droit fiscal québécois est bien connue et la jurisprudence et la doctrine abondent à cet égard.

[66] Les articles 1451 et 1452 du Code civil du Québec […] indiquent ce qui suit :

1451. Il y a simulation lorsque les parties conviennent d’exprimer leur volonté réelle non point dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret, aussi appelé contre-lettre.

Entre les parties, la contre-lettre l’emporte sur le contrat apparent.

1452. Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s’il survient entre eux un conflit d’intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré.

[…]

[67] […] Lorsque les autorités fiscales agissent en tant que cotiseur, elles ne sont pas considérées comme un tiers au sens de l’article 1452 C.c.Q., leur rôle étant d’évaluer les rapports juridiques réels entre les parties et de cotiser les contribuables en fonction de cette réalité.2

La notion de prête-nom étant ainsi exposée par la Cour, il faut donc comprendre que le rôle de Revenu Québec était alors de questionner les liens véritables existant entre les différentes parties au moment des transactions, plutôt que de se fier uniquement aux contrats apparents, soit ceux d’achat et de vente de la résidence familiale.

[82] Pour répondre à cette question, il faut dans un premier temps déterminer si la preuve démontre que l’intention des parties aux transactions était que l’Immeuble ne quitte pas le patrimoine de Monereau. Par la suite, il faut déterminer si cette entente entre Monereau et Béliard est opposable à Revenu Québec.

[83] […] il faut répondre par la positive à ces deux questions.

[…]

[85] Ainsi, puisque la preuve démontre que l’Immeuble n’avait pas quitté le patrimoine de Monereau, cette dernière n’avait donc pas, en droit, à ce moment, l’obligation de déclarer les transactions.

[…]

[91] Dans les présents dossiers, ni Béliard ni Monereau n’ont cherché […] à tirer avantage tantôt des contrats apparents (les actes notariés), tantôt de la contre-lettre.3

À la suite de cette complexe analyse, le tribunal a finalement annulé les avis de cotisation émis par l’ARQ, accueillant la demande des demandeurs, Béliard et Monereau. Il faut toutefois noter que la loi prévoit, depuis 2020, l’obligation de divulguer le contrat de prête-nom. Ainsi, Si les transactions avaient eu lieu au cours des 4 dernières années, Béliard et Monereau auraient eu l’obligation de divulguer l’entente véritable existant entre eux, sous peine de contrevenir à la Loi sur les impôts4.

Pour conclure, il est possible, dans certaines circonstances, d’utiliser la contre-lettre dans le cadre d’une planification fiscale bien réalisée. Toutefois, il faut comprendre que les véritables liens juridiques existant entre les parties, prenant la forme d’une contre-lettre, devront être divulgués. Les autorités fiscales pourront alors s’assurer d’effectuer la cotisation en fonction de la situation réelle des parties, et non uniquement en fonction du contrat apparent. Il est conséquemment judicieux de se faire conseiller adéquatement par des professionnels du milieu juridique, afin de s’assurer de faire valoir au mieux ses intérêts, à l’intérieur des cadres législatifs québécois et canadien.

Rédigé avec la collaboration de Mme Laury-Ann Bernier, LL.M.

1  Béliard c. Agence du revenu du Québec, 2024 QCCQ 405.
2  Id., par. 65-67.
3  Id., par. 82-91.
4  Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3, art. 1079.8.6.4.