Utilisation personnelle vs. professionnelle : Le véhicule sous la loupe
Dans une décision récente1, la Cour du Québec a rappelé ce qui constitue une utilisation d’un véhicule à des fins personnelles, ainsi que le principe de présomption de validité dont disposent les cotisations fiscales.
Résumé des faits
Marc-André Lagacé, président et actionnaire d’une entreprise de construction, est en litige avec l’Agence du revenu du Québec (ci-après : «ARQ») concernant l’utilisation de son véhicule professionnel. Il utilise ce véhicule pour se rendre à son lieu de travail, aux bureaux de l’entreprise, et sur les différents chantiers. L’ARQ qualifie ces trajets, notamment ceux entre son domicile et les chantiers, comme une utilisation personnelle, justifiant ainsi une augmentation de sa cotisation fiscale. M. Lagacé conteste cette interprétation, arguant que ces déplacements sont intrinsèquement liés à ses fonctions professionnelles et nécessaires à l’exécution de son travail.
Décision de la Cour du Québec
Afin de comprendre la décision du tribunal, il est nécessaire de rappeler, comme l’a fait le tribunal, les principes de base prévus par la Loi sur les impôts (ci-après :«LI»). Tout d’abord, il faut savoir qu’au sens de l’article 63.1 de ladite loi, la distance parcouru entre la résidence de l’employé et son lieu de travail relève d’un kilométrage personnel2. Par ailleurs, « [l]’article 41.0.1 LI[…] crée une présomption à l’effet qu’un véhicule lié à une entreprise qui est mis à la disposition de l’un de ses employés ou d’une personne lui étant liée est présumé être utilisé à des fins personnelles pour 20 004 km annuellement».
Enfin, il faut savoir que les cotisations fiscales jouissent d’un principe de présomption de validité, comme le dispose l’article 1014 de la Loi sur les impôts3. Cette présomption peut cependant être renversée par le justiciable en présentant une preuve prima facie, c’est-à-dire une preuve qui est suffisante pour établir un fait jusqu’à preuve du contraire.
Considérant cela la conclusion de la Cour est la suivante :
[49] Sur la notion de lieu de travail, le Tribunal estime qu’il peut s’avérer utile de faire un parallèle avec l’interprétation des articles 63 et 63.1 LI qui, dans un contexte de dépenses d’un particulier à l’égard d’un véhicule pour voyager dans l’exercice de ses fonctions, utilisent les expressions « ailleurs qu’au lieu d’affaires de son employeur » et « différents endroits ».
[50] À ce sujet, commentant l’affaire Royer, la Cour canadienne de l’impôt, dans l’affaire O’Neil[…], indique que :
[17] Les termes ” ailleurs qu’au lieu d’affaires de son employeur ou à différents endroits “, que l’on trouve à l’alinéa 8(1)h.1), ont été interprétés dans l’affaire Royer c. Canada. Lorsqu’un employé doit accomplir les fonctions de son emploi à plusieurs lieux d’affaires, ces lieux sont expressément visés par les termes ” différents endroits “. Lorsque l’employé travaille de façon habituelle à l’un de ces différents endroits et travaille aux autres endroits selon le bon vouloir de l’employeur, les frais de déplacement jusqu’au lieu de travail habituel seront considérés comme une dépense personnelle. Les parties s’entendent sur le fait que M. O’Neil était habituellement tenu d’accomplir les fonctions de son emploi dans plusieurs secteurs de la Ville. L’avocat de l’intimée n’a pas contesté ce fait évident.
[51] Sur le même sujet, dans une décision portant sur une autorisation d’appeler, le juge François Doyon[…] rappelle les principes de droit fiscal relatifs aux dépenses déductibles comme suit :
[7] En effet, il n’est pas déraisonnable de conclure, à la lumière de la preuve, que les dépenses de déplacement de Sherbrooke à Montréal n’ont pas été engagées par le requérant pour voyager dans l’accomplissement de ses fonctions, comme l’exige la Loi. La Cour canadienne de l’impôt souligne, dans O’Neil c. La Reine, 2000 DTC 2409, qu’« il y a une énorme différence entre des frais qui doivent être engagés pour se rendre à un endroit dans le but d’exécuter ses tâches, et des frais engagés dans l’accomplissement de ses tâches […] ».
[8] La règle est d’ailleurs bien résumée par la Cour fédérale d’appel dans Healy v. The Queen, 1979 CanLII 4129 (CAF), [1979] C.T.C. 44. L’employeur de Healy modifia les affectations habituelles de son employé en lui demandant d’exécuter ses tâches dans un autre endroit, plus éloigné, pendant le tiers de l’année 1973. La Cour, autorisant la déduction de frais afférents à cette nouvelle affectation, écrit que le but de la disposition législative « is to enable employees who are required by their employment to work from time to time away from the places at which they usually work to deduct their out-pocket expenses in so doing ». […]
[9] Ce n’est pas le cas ici. Comme le contrat de travail du requérant mentionnait qu’il devait travailler habituellement à deux endroits, il n’était pas déraisonnable de conclure, comme le juge de la Cour du Québec, qu’il se déplaçait « en vue d’accomplir et d’exécuter son travail et non dans l’accomplissement de ses tâches » et que la déduction ne devait pas être acceptée.
[52] À la lumière de ce qui précède, un employé peut donc accomplir et exécuter son travail à différents endroits, dont tous ou certains d’entre eux pourraient être, pour cet employé, son lieu habituel de travail.
[…]
[60] Or, un chantier peut être un lieu d’affaires et s’il y a plusieurs lieux d’affaires où un employé doit accomplir ses fonctions, ces lieux d’affaires prennent le sens de différents endroits[…]. De plus, il est reconnu qu’un employé peut avoir divers lieux de travail[…].
[…]
[63] De l’avis du Tribunal, pour l’année fiscale 2018, M. Lagacé était habituellement tenu d’accomplir et d’exécuter ses tâches à titre de directeur de chantier dans différents endroits, à savoir au bureau sur le boulevard Dagenais Ouest, à Laval, de même qu’aux divers chantiers de MA2D.
[64] Ainsi, tous les déplacements vers ou en provenance des différents endroits où M. Lagacé exécute et accomplit ses tâches de directeur de projet à sa résidence de Rosemère sont des déplacements de nature personnels.
Ce qu’il faut retenir
En conclusion, pour éviter les mauvaises surprises, les entreprises doivent mettre en place des politiques claires concernant l’utilisation des véhicules professionnels et documenter rigoureusement les déplacements de leurs employés. En cas de doute, il est préférable de consulter un conseiller juridique spécialisé en fiscalité pour assurer la conformité et éviter des litiges coûteux.
Rédigé en collaboration avec Antoine Villain, étudiant
1Lagacé c. Agence du revenu du Québec, 2024 QCCQ 698.
2Loi sur les impôts, RLRQ c I-3, art 63.1.
3Id., art 1014