Dissolution d’OBNL : Transparence obligatoire
La récente décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Montour c. Fortin1 offre un éclairage crucial sur la responsabilités des administrateurs d’organismes à but non lucratif (OBNL) lors de la dissolution, ainsi que sur la possibilité pour des tiers d’intenter une action dérivée pour protéger les intérêts de l’organisme. Cette affaire, qui met en cause l’OBNL Faubourg Mena’sen, soulève des questions fondamentales en matière de gouvernance, de transparence et de protection des parties prenantes.
Contexte de l’affaire : Dissolution contestée
Faubourg Mena’sen était un OBNL dont la mission était de fournir des logements abordables. En 2022, les administrateurs de Mena’sen ont pris la décision de vendre les immeubles de l’organisme. À la suite de cette vente, ils ont distribué le produit de la vente entre eux et ont procédé à la dissolution de l’OBNL. Cette dissolution a été contestée par un ancien membre de l’organisme et une locataire, qui ont intenté une action dérivée, alléguant que les administrateurs avaient agi de manière abusive et en violation de leurs obligations fiduciaires.
Enjeux juridiques soulevés
Cette affaire soulève plusieurs questions juridiques importantes. Tout d’abord, l’action dérivée permet, exceptionnellement, « à un actionnaire de poursuivre au nom de la société, pour faire rétablir un tort causé à celle-ci »2. Or, la Loi sur les compagnies3 (ci-après « LCQ ») ne prévoit pas explicitement la possibilité d’une action dérivée pour les OBNL. La question était donc de savoir si les principes généraux du droit québécois permettaient de combler cette lacune.
Par ailleurs, pour qu’une action dérivée soit recevable, les demandeurs doivent démontrer qu’ils ont un intérêt suffisant pour agir au nom de l’organisme. La Cour devait donc déterminer si l’ancien membre et la locataire avaient la qualité pour agir.
Décision de la Cour supérieure
La Cour a conclu que, bien que la LCQ ne le prévoie pas explicitement, les principes généraux du Code civil du Québec et du Code de procédure civile permettent d’intenter une action dérivée au nom d’un OBNL. La Cour a souligné que l’absence d’un tel recours pourrait laisser les OBNL, et les différents acteurs qui les entourent, vulnérables aux abus de pouvoir.
Le tribunal a ensuite reconnu que la locataire avait la qualité pour agir, car elle avait une attente raisonnable que l’OBNL poursuive sa mission de fournir des logements abordables. L’ancien membre, en revanche, n’a pas été reconnu comme ayant un intérêt suffisant.
Au surplus, la Cour a critiqué la manière dont la dissolution de Mena’sen avait été effectuée, soulignant le manque de transparence et le non-respect des exigences du Registraire des entreprises. Elle a notamment relevé que la dissolution avait été annoncée sous un nom différent (L’Orientation Éphémère), ce qui avait rendu difficile pour les parties prenantes de s’y opposer.
Conséquemment, afin de permettre l’exercice de l’action dérivée, la Cour a annulé la dissolution de Mena’sen. La Cour a estimé qu’il était essentiel de rétablir l’existence juridique de l’organisme pour permettre aux demandeurs de faire valoir leurs droits.
Décision de la Cour d’appel : À suivre…
Insatisfaits des conclusions de la Cour supérieure, les administrateurs de l’OBNL ont déposé une requête pour permission d’appeler devant la Cour d’appel du Québec. Cette dernière a accueilli la requête, suspendant par le fait même les procédures ayant lieu en première instance, jusqu’à ce que la décision soit rendue sur le fond4. Il sera ainsi particulièrement intéressant de suivre cette saga judiciaire, afin de découvrir l’interprétation que fera la Cour d’appel du vide législatif entourant l’action dérivée dans le contexte spécifique d’une OBNL.
Les implications pour les membres de la communauté d’affaires
Cette décision a des implications importantes pour les OBNL et la communauté d’affaires. En effet, elle rappelle aux administrateurs d’OBNL l’importance de respecter les principes de bonne gouvernance, de transparence et de reddition de comptes. Les administrateurs doivent toujours agir avec diligence, loyauté et dans l’intérêt de l’organisme.
Advenant le fait que la décision ne soit pas renversée par la Cour d’appel, la conclusion de la Cour supérieure permettrait également de confirmer que les tribunaux peuvent intervenir pour protéger les intérêts des personnes touchées par la mission d’un OBNL, même en l’absence de dispositions législatives spécifiques. Les locataires, les membres, les donateurs et les autres parties prenantes auraient alors le droit de s’attendre à ce que les OBNL soient gérés de manière responsable et transparente.
Il n’est pas impossible que cette décision encourage des actions dérivées contre des OBNL, en particulier dans les cas où il y a des allégations de mauvaise gestion, d’abus de pouvoir ou de non-respect des obligations fiduciaires. Cela met donc en évidence, pour la communauté d’affaire, la nécessité de s’assurer que les décisions soient prises dans le respect des lois et des intérêts des parties concernées.
Si vous avez des interrogations concernant la gouvernance d’OBNL, les actions dérivées, ou d’autres questions relatives au droit corporatif, n’hésitez pas à contacter notre équipe composée de juristes ayant vos intérêts à cœur. Notre cabinet possède l’expérience et la polyvalence nécessaire afin de répondre à vos besoins, peu importe l’ampleur de vos projets et de vos ambitions.
Rédigé avec la collaboration de Mme Laury-Ann Bernier, chargée de cours en droit.
1 2024 QCCS 4448.
2 Id., par. 34.
3 Loi sur les compagnies, RLRQ, c. C-38.
4 Fortin c. Montour, 2025 QCCA 126.