Rénovations : La prévisibilité peut coûter cher
Les contrats d’entreprise, piliers de nombreux projets de construction et de rénovation, sont souvent sources de litiges complexes. Une récente décision de la Cour supérieure du Québec1 met en lumière de nombreux enjeux autour de ces contrats, notamment l’imprévisibilité des coûts, l’étendue de l’obligation de renseignement et les limites du non-paiement de factures comme motif de résiliation. Cet article se penche ainsi sur cette affaire et ses implications.
Contexte de l’affaire
Mme Ramziath Abdou Mohamed a acquis un immeuble de type duplex nécessitant des rénovations importantes. Elle a ensuite conclu un contrat avec 9297-8493 Québec Inc. (ci-après « Titan »), un entrepreneur général, dans le but de transformer l’immeuble en triplex. Le contrat prévoyait un budget préliminaire d’environ 150 000$. Cependant, au fil des travaux, Titan a présenté des propositions budgétaires révisées, faisant grimper le coût total à près de 380 000$.
Face à cette très grande augmentation des coûts, Mme Mohamed a refusé de payer les factures supplémentaires, alléguant que Titan avait manqué à son obligation de renseignement à son égard et que les coûts étaient prévisibles. En retour, Titan a quitté le chantier, en plus de réclamer un solde impayé.
En réaction à cette impasse, Mme Mohamed a intenté une action en dommages-intérêts, tandis que Titan a présenté une demande reconventionnelle, afin de récupérer ce qu’il estime lui être dû.
Analyse de la Cour supérieure
L’imprévisibilité : Un concept clé, mais limité
L’article 2107 du Code civil du Québec permet à un entrepreneur d’exiger un prix supérieur à celui convenu si des travaux, des services ou des dépenses n’étaient pas prévisibles au moment de la conclusion du contrat. Dans sa décision, la Cour a pris la peine de rappeler que le fardeau de prouver le caractère imprévisible des travaux incombe à l’entrepreneur.
Dans cette affaire, Titan a soutenu que l’état de l’immeuble et les problèmes structuraux n’étaient pas prévisibles, car il n’avait pas eu accès à des plans et devis détaillés. La Cour a rejeté cet argument, soulignant que Titan avait eu la possibilité de visiter l’immeuble, avait reçu un rapport d’inspection préachat et avait une expérience considérable en rénovation. Elle a par conséquent estimé que Titan aurait dû prendre le temps nécessaire pour évaluer l’état de l’immeuble et qu’il ne pouvait invoquer son propre manque de diligence pour justifier le dépassement des coûts.
L’obligation de renseignement : Un devoir proactif et continu
L’article 2100 du Code civil du Québec impose à l’entrepreneur d’agir au mieux des intérêts de son client, avec prudence et diligence. L’article 2102 du même code précise que l’entrepreneur doit fournir au client toute information utile relativement à la nature de la tâche, ainsi qu’aux biens et au temps nécessaires pour l’accomplir.
La Cour a conclu que Titan avait manqué à son obligation de renseignement en ne communiquant pas à Mme Mohamed, en temps utile, que la proposition budgétaire initiale serait largement dépassée en raison des problèmes structuraux. La Cour a souligné que cette obligation de renseignement est continue et s’applique même après la formation du contrat. Titan aurait donc dû aviser Mme Mohamed dès qu’il s’est rendu compte que les coûts seraient beaucoup plus élevés que prévu.
Le non-paiement de factures : Un motif de résiliation à nuancer
L’article 2126 du Code civil du Québec ne permet à un entrepreneur de résilier unilatéralement un contrat que pour un motif sérieux. La Cour a toutefois jugé que le non-paiement de factures par Mme Mohamed ne constituait pas un motif sérieux de résiliation dans les circonstances.
Pour en venir à cette conclusion, la Cour a tenu compte du fait que Mme Mohamed avait déjà payé une somme importante représentant plus de 65 % du budget initial, que les coûts supplémentaires étaient attribuables à des problèmes prévisibles et que la résiliation était survenue à un moment inopportun. Finalement, la Cour a également noté que Titan n’avait pas donné à Mme Mohamed un avis de défaut avant de quitter le chantier.
Les conclusions de la Cour
La Cour a accueilli en partie la demande de Mme Abdou Mohamed et a condamné Titan à lui verser 365 037,37 $, représentant la différence entre le budget initial et les sommes versées à d’autres entrepreneurs pour compléter les travaux, ainsi qu’une surfacturation de 50 000 $. La Cour a rejeté la demande reconventionnelle de Titan.
À retenir
Il est possible de faire ressortir plusieurs principes importants de cette décision. Avant de conclure un contrat d’entreprise, l’entrepreneur doit effectuer une évaluation rigoureuse des travaux à réaliser et tenir compte de tous les facteurs pertinents. Il doit communiquer ouvertement avec son client et l’informer de tout changement important dans les coûts ou les délais. Par ailleurs, cette obligation de renseignement est continue et s’applique même après la formation du contrat.
Au surplus, puisque la résiliation d’un contrat d’entreprise doit être fondée sur un motif sérieux et ne doit pas être effectuée à contretemps, il est essentiel de bien documenter tous les aspects du contrat, y compris les coûts, les travaux réalisés et les communications entre les parties.
En somme, cette décision souligne l’importance pour les entrepreneurs de faire preuve de professionnalisme, de transparence et de respect de leurs obligations contractuelles. Il incombe conséquemment aux clients de s’assurer d’une compréhension juste des termes du contrat en plus de surveiller adéquatement l’évolution des travaux, afin de mieux faire valoir leurs droits en cas de litige.
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Rédigé avec la collaboration de Mme Laury-Ann Bernier, chargée de cours en droit.
1 Mohamed c. 9297-8493 Québec Inc., 2025 QCCS 215.